Comment définir une bonne Stratégie Produit ? Je suis Fabrice des Mazery, Product Advisor depuis plusieurs années, et voici mes conseils pour réaliser un diagnostic et une direction stratégiques, nécessaires pour poser sa Stratégie Produit.
I - Le diagnostic stratégique pour une bonne Stratégie Produit
II - Donner une direction stratégique
- Challenge et Purpose stratégiques : le couple indissociable
- La destination stratégique ou enduring state
- Goals et anti-goals : "choisir c'est renoncer"
III - Alors, comment construire la bonne Stratégie Produit ?
Pour faire écho au premier article de la série, Ce qu’est… et n’est pas la Stratégie Produit, la Stratégie Produit est le cadre qui permet de rendre les équipes autonomes, actionnable par la mise en place d’OKRs. Dans une Organisation Produit, la Stratégie Produit permet de préparer le bon cycle de vie du Produit.
I- Le diagnostic stratégique pour une bonne Stratégie Produit
Le Diagnostic stratégique : "Faites-moi IRM, test sanguin, Product et Org research !”
La Product Research
L’analyse du marché, ou Product Research est la carte de l’existant permettant que tout le monde soit aligné sur la vision du Produit. C’est l’un des éléments les plus importants du leadership Produit et de la sacro-sainte autonomie : diriger par le contexte, non par le contrôle. Il faut offrir une vision plus large aux équipes que leur propre périmètre.
Heureusement, vous ne partez pas de rien : Romuald en bon CPO s’assure que les insights soient partagés régulièrement. Attention cependant : le diagnostic n’est pas uniquement une photo à l’instant T. C’est l’équivalent du “Previously” de vos séries préférées.
La Product Research prend en compte dans son scope trois grandes familles d’insights, vos couleurs primaires pour dépeindre toutes les nuances de la réalité de votre terrain stratégique :
- la Data Research qui constitue les évolutions en matière de métriques d’usage, business et de satisfaction sur la période, qui délivre les résultats suite à nos expérimentations ou nos mises en production.
- la User Research (essentiellement qualitative ici, en l'occurrence) qui comprend les retours d'utilisateurs finaux sur le produit et ses évolutions (verbatims, utilisabilité…), les évolutions des customer journeys, les nouveaux usages, les attentes utilisateurs ou frustrations, etc.
- la Market Research qui dépeint l’évolution des tendances du marché dans votre stratégie marketing (segmentations, typologies d’acteurs, business models, de pricing), et notre place face à la concurrence en matière de positionnement, de bénéfices et de fonctionnalités.
L’idée n’est pas de séparer les trois, mais de les lier pour donner du sens à la situation.
Voici ce que Romuald et vous pensez dire en all hands, après une introduction de Romuald sur le diagnostic global de Thiga Eats. Le but est de souligner les éléments importants et de les illustrer en support (via un slide deck de présentation et une note stratégique plus détaillée).
Pour l’exercice, voici ici les principaux éléments de discours. Nous prendrons quelques raccourcis en ne détaillant que la partie “Clients”, sans nous attarder sur les parties “Restaurateurs” ou “Livreurs”.
- La stratégie menée cette dernière année a maintenu Thiga Eats comme un acteur solide côté restauration et livraison de courses. Mais, nous n’avons pas trouvé de nouveau levier de croissance durable… jusque là.
- Nous n’avons pas relevé de différence fonctionnelle majeure avec nos concurrents sur ces deux marchés. Cependant, nous avons réussi à nous distinguer en matière de perception de qualité (verbatims), particulièrement auprès d’une clientèle à majorité urbaine et aisée. Sur ce segment, qui représentait x % de notre base et x % des profits, près de x % ont profité de l’offre de livraison de restaurants considérés comme hauts de gamme( un repas moyen dépassant les xx euros).
- Un persona apparaît : celui de l’hédoniste, pour qui livraison et haut-de-gamme ne sont plus antithétiques. Il se plaint de ne pas trouver facilement ces établissements, “noyés au milieu de restaurants de tacos” (verbatim).
- La procédure de commande comprend des points de friction spécifiques, dûs à une offre constituée de menus uniquement (pas de plat individuel). Nous n’avons pas de conclusion nette pour le temps de complétion qui semble plus long dans xx % des cas. Cela pourrait être dû à la réflexion plus longue liée à un prix engageant.
- Le volume limité de repas disponibles est également cité par 1 hédoniste potentiel sur 3 ( verbatims), créant des déceptions lorsqu’un seul repas est disponible. Certains clients citent d’eux-mêmes l’aspect exclusif de l’offre comme un gage de qualité.
Evidemment, vous pourrez ajouter d’autres tendances, compléter et développer les autres parties, ... Je pense que vous avez saisi le concept !
L'Organizational Research
La deuxième grande famille d’insights est centrée sur l’intérieur : on peut parler d’Organizational Research. La logique est identique à la Product Research : d’un point de vue qualitatif et quantitatif, où étions-nous il y a 12 à 18 mois ? Qu’avons-nous accompli et où est-ce que ça nous mène aujourd’hui ? Une stratégie parfaite sur le papier, mais opérée par des équipes mal organisées, mal équipées et peu motivées, ne pourra être couronnée de succès.
On pourra s’intéresser :
- aux compétences et à notre capacité à attirer et développer les talents,
- aux bons et mauvais fonctionnements des équipes et processus,
- mais aussi à la perception des équipes, leur moral et leur volonté, ou encore leur sentiment d’appartenance, souvent trop négligés !
Voici le discours que vous pensez tenir sur le plan organisationnel :
- Organisationnellement, la crise nous a montré que nous étions capables de faire face et de réagir rapidement aux imprévus. La communication intra-équipes, qui était citée comme problématique il y a un an s’est largement améliorée lorsque l’adversité nous a forcé à clarifier la mission de chaque unité (chiffre/ perception). Cette amélioration s’est révélée particulièrement flagrante dans les 3 équipes qui ont dû faire face à une explosion des demandes de livraison.
- Le travail à distance nous a contraint à communiquer entre équipes de façon asynchrone, qu’il s’agisse de partager des apprentissages, mais surtout de donner beaucoup plus de visibilité sur le travail des équipes Produit. Le sentiment de confiance inter et intra-équipes a grandi (cf chiffres des mood meters + verbatims).
- On note en revanche une certaine fatigue (x% des profils interrogés), tant au sein des équipes que pour les profils qui ont dû se “partager” entre ces équipes (Design, research, data…). Le context switching a été cité par ces derniers comme la raison principale de cette fatigue.
- Nous avons pu voir également que nous manquions de compétences en matière de recherche utilisateur, de recherche data et de tests rapides, freinant l’autonomie des équipes. Avoir dédié une équipe de Product Discovery stratégique a montré que la concentration de ces compétences avait un impact fort pour fournir des insights rapides.”
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Vous auriez pu parler de manques spécifiques à certaines parties de l’entreprise, mais ce n’est pas votre mandat. Rien ne vous empêcherait en revanche d’ajouter plus de données sur l’efficacité des processus (lead time, defects…). Vous pourrez toujours les indiquer dans une note à disposition de tous.
L'anticipation
Enfin, une dernière partie est la prise en compte des risques que l’on peut anticiper :
- Quels événements/ changements majeurs sur le terrain pourraient arriver et pourraient remettre en cause notre produit ou notre position sur le terrain ?
- Quelles conséquences auraient-ils ?
- Qu’est-ce qui augmenterait leur probabilité ?
- Quels facteurs pourraient nous aider à réduire / atténuer le risque ?
L’idée n’est pas d’être exhaustif, mais de savoir si nos moyens actuels et notre stratégie permettraient de faire face à ce qui nous fait peur. Il sera aussi intelligent d’imaginer les mouvements possibles de la concurrence, non pour être uniquement en position défensive, mais pour vérifier si ces mouvements changeraient suffisamment le contexte pour limiter nos forces ou accroître nos faiblesses.
Voici l’un des risques que vous pourriez citer pour Thiga Chef :
- Aujourd’hui, le plus grand risque pour nous serait que, suite à la guerre en Ukraine, notre coût d’acquisition client dépasse XX euros. Si ce risque survenait, cela nous épuiserait financièrement.
- Ce risque a plus de probabilité d’arriver si nous ne nous battons que sur les prix et le “main stream”. Nous pensons que les facteurs qui pourraient nous aider à réduire le risque ou atténuer ses effets sont la différenciation par la marque (awareness et / ou expérience, favorisant la fidélisation et le bouche-à-oreille), par la segmentation (se spécialiser sur 1 ou plusieurs catégories de consommateurs) ou le catalogue (typologie de produits distribués).
Diagnostic stratégique = Product Research + Organizational Research + Anticipation
Maintenant que l’on a cité tout cela, vous allez me dire : il suffit de faire un SWOT ! Alors, oui et non : le SWOT est pratique car facile à utiliser, mais il peut être particulièrement dangereux. Il est très facile de se mentir sur ses forces, de minimiser ses faiblesses et les forces des concurrents, de faire preuve d’un optimisme débordant.… Bref, de laisser la place aux biais cognitifs. L'idée du diagnostic est donc d'aller chercher de la donnée en interne comme en externe, et d'accepter ce que l'on ne sait pas... À faire du bon Product Management (oui, je suis monomaniaque).
De plus, la stratégie est empreinte de darwinisme : aucune caractéristique n'est une force ou une faiblesse en tant que telle. Tout est une question de contexte. Une faiblesse peut être ou devenir une force, et inversement. Utiliser un SWOT par contexte ou par scénario peut être intéressant, mais en étant particulièrement attentif :
- aux données réelles et à ce que l’on ne sait pas,
- à différencier tendances vérifiées et tendances pressenties,
- à lister les signaux qui nous montreraient que chacune de nos forces ou de nos faiblesses s’atténue, se maintient ou s’accroît.
Tout l’art du stratège est de choisir le bon Challenge dans le bon contexte, d’y souligner des caractéristiques qui deviendront des avantages durables.. et de laisser la place à l’incertitude et aux initiatives. C’est ce que nous allons creuser maintenant.
II- Donner une direction stratégique
Challenge et Purpose stratégiques, le couple indissociable
Vous voici donc avec une vision la plus fidèle possible de votre terrain. Pour prendre un parallèle Produit, nous avons fait la première étape du double diamant du Design Thinking. A nous maintenant de converger pour définir le problème stratégique que nous devons résoudre : le Challenge. Il constitue l’aboutissement du diagnostic, et signe le début de la direction stratégique.
A quoi ressemble un Challenge ? À un “how might we”, comme dans le Design Thinking. L’idée est d’écrire le problème en une phrase courte qui parle à tout le monde et soit directement lié, évidemment, au diagnostic.
Exemple du Challenge stratégique pour Thiga Chef : Comment pouvons-nous trouver des relais de croissance qui nous différencient de façon duraattentble de la concurrence tout en continuant à opérer le reste de notre activité ?
La réponse que vous donnerez à ce challenge, c’est le “Purpose stratégique” : l’approche que nous avons décidé de prendre pour tacler le challenge. Nous pourrions appeler ça la mission stratégique des équipes Produit pour la période à venir. Mais attention : il y a un risque de confusion avec la mission du produit lui-même, qui est à plus long terme.
Rappelez-vous notre article précédent : c’est ce Purpose que les gens vont retenir comme étant la stratégie. Faites attention à éviter les écueils que nous citions : le confondre avec la vision, la mission long terme, ou n'être qu’une ambition ou des OKRs.
Exemple du Purpose stratégique pour Thiga Chef : “En lançant une nouvelle offre, Thiga Chef, sur les 12 à 18 prochains mois, nous voulons montrer aux clients aisés, aux restaurateurs haut-de-gamme, à nos meilleurs livreurs, qu’il est possible de proposer en ville une livraison haut-de-gamme de repas haut-de-gamme.”
Vous allez me répondre : ça a l’air facile de sortir le bon Challenge et le bon Purpose ! C’est évidemment tout le contraire (sinon cet article ne servirait à rien et je serais en train de boire un mojito).
Courir derrière plusieurs challenges - ayant chacun de multiples solutions - en même temps, c’est mettre en risque le principe même de la stratégie : la concentration de vos forces. Cela aurait pour conséquences de multiplier les conflits de priorité, les changements de contexte, l’impression de ne pas avancer…
Il faut donc finir avec UN Challenge et UN Purpose, puisque ce sont les bases de votre direction stratégique ! À noter qu’il est souvent souhaitable, de se projeter à 3 ans (ou plus) pour donner de la perspective, surtout lorsque le challenge que l’on veut craquer est important. Vous suivrez la logique décrite dans cet article, en étant évidemment moins précis sur les marqueurs de victoire que nous allons évoquer dans un instant. Mais vous devrez dans tous les cas définir un premier chapitre de 12 à 18 mois, sans quoi les équipes auront du mal à se raccrocher à quoi que ce soit et finiront pas ne voir qu’à 3 mois.
La destination stratégique ou enduring state
Rappelez-vous du premier article de la série : une stratégie est le cadre qui permet de rendre les équipes autonomes. Le but d’une stratégie n’est pas de définir le chemin, mais la direction vers une destination. C’est aux équipes, ensuite, de trouver comment atteindre cette destination. Pour paraphraser le Doc de Retour vers le futur : “Là où on va, il n’y a pas encore de route.”
Dans la forme, c’est un diagnostic, mais dans le futur. Le diagnostic initial donne du contexte, et la destination stratégique donne de la perspective.
Nous allons donc projeter de futures informations sur le Produit et ses utilisateurs (Product Research) et sur l’organisation (Org Research). Nous mixerons :
- des chiffres (des seuils ou des tranches si nous avons peur d’être trop précis).
- des bénéfices utilisateurs car nous aurons réglé des problématiques, et des retours potentiels de ces mêmes utilisateurs.
- des perceptions du produit sur le marché, des rapports de force avec les concurrents ou même des hypothèses sur leurs propres stratégies.
- des réussites internes sur le plan de l’efficacité des process, du discovery et du delivery, des comportements et du bien-être, ou même de la réussite de la stratégie marketing et commerciale (puisque nous contribuons à la réussite business de l’entreprise, évidemment !).
Mais personne ne pouvant voir l’avenir, nous devons accepter d’intégrer l’incertitude. Nous allons donc nous concentrer sur les positions désirables - les “outcomes”, si on veut rester dans du vocable Produit -, puis imaginer des marqueurs de victoire, c’est-à-dire des éléments qui nous permettraient de savoir que nous avons atteint ces outcomes.
Certains de ces marqueurs seront des nice-to-have, qui rendraient la victoire encore plus éclatante. D’autres seront ajoutés en cours de route. D’autres enfin, seront probablement non atteints ou modifiés. L’important est que les outcomes soient atteints.
C’est également pour cela que l’on se permet d’imaginer un terrain à 12-18 mois : certains marqueurs ne seront peut-être complets qu’après l’année calendaire. Les OKRs, qui découleront naturellement de cet “enduring state”, nous serviront à mettre le focus sur les marqueurs prioritaires, avec un cadencement plus précis et une logique de points d’étape. Il s’agira peut-être d’atteindre un marqueur à 80% à 1 an, les 100 % suivant logiquement dans les mois suivants. Certains marqueurs seront probablement liés à d’autres : un taux de récurrence d’usage de + xx % découlera d’un taux de satisfaction de plus de x %, qui sera lui-même illustré par des verbatims positifs.
Voici un exemple pour Thiga Chef (nous n’allons évidemment pas tout développé ici). Nous avons choisi de l’écrire au présent plutôt qu’au futur - c’est un détail, mais cela peut nous pousser à être plus réalistes :
- Avoir rempli cette mission dans 12 à 18 mois signifie que Thiga Chef présente les marqueurs d’un véritable relais de croissance (indices financiers, business, usage…). Le comportement des concurrents confirme nos hypothèses stratégiques : ils ne s’aventurent pas sur ce créneau ou ne sont pas jugés crédibles par les restaurateurs et les clients hédonistes.
- Une majorité des restaurateurs étoilés en ville et déjà inscrits sur le service nous expriment leur confiance sur le long-terme pour offrir une qualité de livraison et un écrin à la hauteur de leur produit, tout en leur proposant une marge suffisante (entre xx et xx euros par repas).
- Nous espérons retenir xx % des restaurateurs ayant utilisé le service pendant le COVID (nous y trouverons nos early-adopters), et avoir convaincu au moins xx % de nouveaux restaurateurs.
- Les frictions liées au parcours ont été suffisamment levées pour ne plus être perçues comme négatives, comme le montrent les verbatims. Le temps et le % de complétion se rapprochent des chiffres des restaurants plus classiques (aujourd’hui xx sec / xx %), avec une marge maximum que nous voudrions de moins de x % - sauf si nous découvrons que ce n’est pas un réel problème.
- Les clients hédonistes apprécient suffisamment l’expérience Thiga Chef pour y revenir (entre xx et xx % de repeat dans les xx mois après la première expérience).
La destination stratégique doit être désirable et durable
Dans l’article précédent, nous insistions sur la nécessité de résister aux sirènes de la pure ambition car les équipes ont besoin de croire dans la stratégie pour la soutenir. Pour cela, il faut au moins deux éléments :
- Les équipes ont besoin de comprendre en quoi atteindre la destination constituerait une victoire - ce qui exclut de jeter simplement des chiffres ronflants sur une slide.
- Une stratégie doit permettre de développer ou de consolider des avantages compétitifs. Nous devons donc souligner en quoi atteindre cette situation dans 12 à 18 mois nous mettra alors dans une situation avantageuse, que nous pourrons défendre.
Par exemple, pour Thiga Chef :
- Cette situation nous permettra de dégager une marge beaucoup plus importante et de convaincre nos investisseurs de nous faire confiance sur ce virage stratégique.
- En matière d’image mais aussi de risques légaux, cela nous distinguera d’autant plus de la réputation d’exploiteurs qui entache une grande partie des plateformes, puisque nous devrons nous assurer de la qualité des livreurs et les rémunérer en conséquence.
- Nous pensons que nos concurrents ont moins de chance d’y arriver et d’atteindre une taille critique sur ces marchés parce que non seulement leurs marques sont perçues comme moins qualitatives par l’ensemble des acteurs de ce marché haut-de-gamme, mais ils ont également montré une capacité moindre à créer de nouvelles offres (NDLR : évidemment, il faudra des exemples pour étayer cela).
Vous noterez qu’ici, nous nous sommes nécessairement projetés sur la suite de l’histoire. C’est pour cela que les 12-18 mois ne constituent qu’un chapitre : vous pouvez déjà teaser le chapitre suivant !
La destination stratégique doit être accessible
Vers l'infini, mais pas trop loin quand même
Second élément : les équipes ont besoin de croire que la destination est atteignable. Le péché capital en stratégie, c’est le volontarisme : être tellement aveuglé par le résultat que l’on en oublie la limitation des moyens.
Si l’ensemble de la stratégie est fait pour être challengé, sans même attendre le jour de sa présentation officielle, les équipes seront particulièrement attentives à l’adéquation entre la destination et les moyens qui leur sont alloués.
En revanche, ce n’est pas une raison pour la jouer “petit bras” : être ambitieux est une bonne chose ! Il faut donc trouver un équilibre entre ambition et pessimisme - et c’est difficile. C’est tout l’intérêt de laisser de la souplesse dans notre cadre stratégique : ajuster selon ce que l’on sera réellement capables de faire, déprioriser des éléments si besoin.
Nous l’avons déjà évoqué, mais c’est aussi pour cela que l’on cherche à tout prix le focus. En concentrant les forces, au-delà même des équipes Produit (marketing, sales, opérations…), nous nous donnons plus de chances d’atteindre la victoire qu’en les saupoudrant sur trop d’éléments. Faire une liste au Père-Noël allant dans tous les sens n’est donc pas conseillé. Les OKRs ne peuvent tout compenser : ils nous aideront simplement à affiner ce focus.
Exemple pour Thiga Chef :
- Nous pensons que le développement de l’offre Thiga Chef constitue un défi relevable par la reconnaissance actuelle que nous avons sur le marché et nos capacités internes. Il s’agit avant tout de renforcer un positionnement qui est tacite aujourd’hui.
- Nous désirons en faire une tribe à part entière avec X équipes, comprenant les équipes en charge de Y et Z, ainsi que telle personne. Nous pensons lancer le recrutement de W personnes pour renforcer cette tribe. Et côté Produit, cette tribe sera animée par une personne que vous connaissez et appréciez tous : inscrivez ici vos noms et prénoms !
Goals et anti-goals : "choisir c'est renoncer"
Enfin, afin de clarifier les éléments et d’éviter toute incompréhension, n’hésitez pas à préciser :
- Les marqueurs que vous ne voudriez pas voir (et donc vous pourriez même faire des anti-OKRs si besoin !) en matière de business, d’usage ou de satisfaction, mais aussi de responsabilité.
- Les Challenges stratégiques ou les Purposes possibles que vous avez choisi d’écarter.
- Les éléments que vous avez décidé de ne plus faire. Cela peut être des segments que vous ne visez plus, des fonctionnalités que vous abandonnez, ou des objectifs prévus il y a un an que vous n’avez pas atteints ou qui ne vous semblent plus pertinents.
Par exemple :
- Nous ne voulons pas passer sous un seuil de marge de X % sur ce segment, qui risquerait d’augmenter le churn d’au moins X %. En revanche, nous ne sommes pas prêts à vendre les données utilisateurs par exemple.
- Nous acceptons donc de ne plus innover sur la partie restaurants classique.
- Nous abandonnons le développement de l’activité de livraison dans de nouveaux pays.
- Un autre challenge aurait pu être de rester compétitifs sur la livraison rapide. Néanmoins, les solutions potentielles, comme investir dans des dark stores ne nous semblaient ni désirables, ni proches de nos valeurs.
III- Alors, comment construire la bonne stratégie ?
Il n’y a pas de recette miracle. La structure que nous venons de détailler (longuement) est un cadre. Nous y avons mis l’ensemble des ingrédients qui doivent vous permettre de construire une stratégie cohérente. Cette stratégie doit permettre de guider les équipes, de leur donner une vision large du terrain et une direction commune. Le but est qu’elles puissent définir elles-mêmes leurs missions (Purpose) et faire émerger le pool d’opportunités qui devraient leur permettre d’atteindre le succès - tactique (l’équipe) ET stratégique (l’entreprise).
Que l’on parle de direction ou d’intention stratégique : nous voulons que chacun partage ce qu’il a en tête, ce qu’il vise et pourquoi, afin de se mettre d’accord sur le rôle que les autres peuvent jouer.
La Stratégie est un guide qui, en cas d’hésitation, de limites de ressources ou d’imprévu, doit permettre de faire le choix d’investissement du temps de son ou ses équipes - et donc, de refuser ou remettre à plus tard d’autres investissements, même lorsqu’ils sont séduisants ou proposés par des parties prenantes. Si la stratégie ne permet pas ces choix, alors c’est une mauvaise stratégie.
Le plus simple pour la construire, c’est d’adopter nos bons vieux réflexes Produit :
- Lister tous les challenges possibles.
- Pour chacun des challenges, lister toutes les approches possibles, quelques éléments d’enduring state, en insistant sur la désirabilité et sur l’investissement que nous imaginons nécessaire.
- Puis tout jeter et suivre ce que veut le CEO !
- Plus sérieusement ; faire challenger ces pistes par vos équipes (Produit, design, tech, data…), mais aussi par vos pairs côté marketing ou sales.
- Et utiliser systématiquement les tests stratégiques que nous avons évoqués dans le 1er article.
Vous ferez de nombreux aller-retours, comme tout créateur d’histoires. Vous mélangerez élégamment les ingrédients, en intégrant des challenges abandonnés en introduction du challenge choisi. Vous évoquerez peut-être, pour chaque outcome, la désirabilité et l’accessibilité. L’important, c’est que cette histoire résonne au sein de l’entreprise.
Dites-vous surtout que vous aurez gagné une grande partie de la bataille si vos équipes prennent le réflexe de poser ces trois questions au quotidien face à toutes les décisions de priorisation :
- Pourquoi est-ce désirable ? Est-ce que ça règle réellement un problème, qui nous donne un avantage pour la suite ?
- Pourquoi est-ce atteignable ? A-t-on vraiment les moyens/ compétences de le faire pour que cela représente un bon ROI ?
- En quoi cela nous rapprochera du succès tactique et stratégique ? Est-ce que ça correspond à ma mission, à celle des autres équipes, de la tribe, de l’entreprise ?
Pour aller plus loin : notre framework de stratégie Produit