Le rôle de Product Ops prend de plus en plus d’ampleur au sein des organisations Produit. Mais qui sont les femmes et les hommes qui occupent ce poste et comment en sont-ils arrivés là ? Pour le savoir, je suis allé à la rencontre de huit d'entre eux.
I - Qu’est-ce que le Product Ops ?
II - Quelles compétences pour devenir Product Ops ?
III - Quels parcours pour devenir Product Ops ?
- L’ancien Product Manager
- L’ancien chef de projet transverse
- L’ancien consultant ou coach
- L’exception des “bébés” Product Ops
🧐 Qu’est-ce que le Product Ops ?
Selon la définition du “Product Ops Manifesto” à laquelle j’adhère, le Product Ops (parfois appelé Product Operations Manager) “permet aux organisations Produit d'obtenir collectivement et efficacement les résultats les plus significatifs pour les clients”. Selon le mandat qui lui est donné, il peut intervenir sur 4 domaines principaux que vous pouvez retrouver dans notre framework des 4P du Product Ops :
- 🛠️ Les Pratiques pour favoriser l’alignement et l’efficacité opérationnelle des équipes Produit.
- 👤 Les Personnes pour accélérer la montée en compétence des individus.
- 🌍 Les Partenaires pour créer un environnement favorable au développement du Produit.
- 👮♂️ Le Pilotage pour aider le management à prendre les bonnes décisions tout en respectant le budget.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, il est important de rappeler que les missions exactes du Product Ops dépendent beaucoup du contexte de l’entreprise, notamment des personnes déjà présentes et des problématiques actuelles de l’organisation.
Pour en savoir plus : découvrir notre framework Les 4P du Product Ops
💪 Quelles compétences pour devenir Product Ops ?
Avez-vous les compétences pour devenir Product Ops ? Les fiches de poste varient et donc les attendus aussi. Cependant, il existe un socle commun sans lequel il est difficile d’exceller : agir comme un bon Product Manager (PM), savoir conduire le changement, aimer faire et être résilient.
Agir comme un bon Product Manager
Le Product Ops et le Product Manager priorisent et résolvent des problèmes. L’un au niveau de l’organisation au contact des équipes Produit, l’autre au niveau de son produit au contact des utilisateurs et clients.
Il n’est donc pas étonnant que les deux partagent des compétences communes, comme le mentionne Delphine Raymond, Product Ops passée par Betclic et Prestashop : “être empathique, à l’écoute des utilisateurs, aimer résoudre des problèmes, avoir un bon relationnel, être un bon communiquant et très organisé”.
Alexandre Serrurier, Product Ops chez ManoMano, y voit aussi d’autres similitudes : “il faut considérer l’organisation Produit comme un produit et appliquer les mêmes méthodes pour analyser (discovery) et prioriser les problèmes”. Alors un bon PM fait-il un bon Product Ops ? Pas forcément car la manière de “délivrer” est différente et c’est là aussi où entre en jeu la conduite du changement.
Savoir conduire le changement
Le Product Ops est attendu sur sa capacité à faire bouger l’organisation et gérer des projets de changement. Pour arriver à ses fins, il doit adopter une démarche “Lean”. Derrière ce terme, je mets le fait de penser petit, de tester sur le terrain au niveau d’une équipe - voire quelques-unes - et d’itérer avant d’appliquer le modèle à l’ensemble de l’organisation.
Faire évoluer les pratiques est un vrai challenge. Contrairement à un coach qui peut se focaliser sur les problèmes d’un individu en particulier, le Product Ops se concentre sur les problèmes systémiques de l’organisation. Il est donc récurrent que le Product Ops demande à certains de changer leur manière d’opérer pour améliorer l’efficacité du plus grand nombre. Dans ce cas, “communication et pédagogie sont les clés du succès d’un Product Ops” selon Margaux Gunepin, Product Ops chez Hublo.
Créer une relation de proximité avec les PMs et les autres départements est aussi très important dans cette conduite du changement. Selon Alexandre Serrurier, “la clé du succès est d’avoir le soutien de la hiérarchie et l’adhésion des opérationnels. Cela s'obtient par l'impact et la crédibilité qu'on est capable de produire. Pour cela, je commence par des petites victoires sur des petits sujets tactiques. Pour la suite, je continue à remplir mon backlog de ces petits sujets pour toujours montrer une progression”.
“Tomber dans l’envie de trop en faire pour justifier sa valeur par son nombre d’actions réalisées est un piège pour le Product Ops”
Aimer faire
Le Product Ops doit insuffler une vraie dynamique pour faire notamment évoluer les pratiques. Il est important qu’il donne l’exemple et soit proactif dans la résolution des problèmes afin de ne solliciter les PMs et autres membres de l’organisation que lorsque cela est réellement nécessaire.
Mais attention, tomber dans l’envie de trop en faire pour justifier sa valeur par son nombre d’actions réalisées est un piège pour le Product Ops… À l’image d’un PM qui justifie la valeur de son équipe au nombre de fonctionnalités développées. Avant de faire, il faut donc se poser les bonnes questions pour trouver les meilleures solutions, comme le rappelle Margaux Gunepin : “on traite des problématiques d’organisation, il faut donc avoir une vraie vision d’ensemble. C’est très simple de mettre un patch à un endroit, mais il faut comprendre les conséquences pour les autres”. Elle poursuit en indiquant qu’“un bon Product Ops réussit à voir les choses simplement. Il est là pour rationaliser les processus.”
Bien analyser et prioriser pour trouver la solution qui va améliorer l’efficacité de l’organisation est une étape cruciale. Mais le Product Ops va plus loin et doit souvent concevoir et implémenter la solution. Dans les cas où la partie “Pratiques”, et notamment l’outillage, constitue une partie importante de la mission du Product Ops, on attend de lui un côté “geek” selon Michaël Bastien, Product Ops chez Brevo où “avoir une appétence pour les sujets tech et être à l’aise avec la manipulation d’API et d’outils No Code s’avèrent être un vrai plus”. Cela aide notamment pour répondre à des problématiques comme l’accès à la donnée ou l’automatisation de tâches via l’interconnexion d’outils.
Être résilient
Si la résilience est une compétence qui ne figure sur aucune fiche de poste, beaucoup de Product Ops la mettent en avant spontanément lorsque je leur demande les qualités attendues.
Pour Alexandre Serrurier, seul Product Ops chez ManoMano, “parfois, on se sent seul à travailler sur des sujets plus macro et ça demande beaucoup d’énergie et donc de résilience”. De son côté, Martin Lim, Product Ops chez PayFit, perçoit la résilience comme un besoin venant de la nature même du poste : “il est parfois compliqué d’embarquer des gens dans des changements qui ne leur bénéficieront pas mais qui aideront les autres. Ces personnes peuvent ne pas donner l’énergie nécessaire dont vous avez besoin, créant ainsi une frustration contre laquelle il faut lutter en permanence.”
🧭 Quels parcours pour devenir Product Ops ?
Si vous vous reconnaissez dans ces compétences attendues, vous vous demandez alors quels parcours ont permis aux Product Ops d’en arriver à occuper cette fonction. Ces rencontres m’ont permis d’arriver à la conviction qu’il n’existe pas de parcours unique, mais trois grandes typologies : les anciens PMs, les anciens chefs de projet transverses et enfin ceux venant du coaching et du consulting.
L’ancien Product Manager
Tous les PMs ne se projettent pas sur des rôles de management. Jusqu’ici, leurs perspectives d’évolution consistaient plus à changer de contexte Produit qu’à endosser un nouveau rôle. Devenir Product Ops est une évolution de carrière qui s’ouvre à eux, à la seule condition d’aimer travailler sur des problématiques organisationnelles. Cette aspiration, c’est celle qui a amené Alexandre Serrurier à prendre le rôle de premier Product Ops chez ManoMano. Pour lui, c’est le changement de rythme qui est l’élément le plus différenciant entre les deux métiers : “on est beaucoup moins dans l’urgence et le rythme d’une équipe de développement. On perd le momentum et l'émulation d'une équipe qui délivre quasi quotidiennement avec les enjeux de production que cela implique. Le Product Ops a une temporalité plus longue et des échanges bien différents... C'est un nouveau monde”.
Pour un Product Ops, avoir été un ancien PM apporte une légitimité auprès des autres Product Managers de l’organisation. Mais en contrepartie il peut avoir une vision biaisée des problèmes à résoudre : sont-ils ceux qu’il a vécu et l’ont pénalisé ? Ou sont-ils ceux que les PMs vivent actuellement dans l’organisation ? Cela demande donc une vigilance supplémentaire pour apporter cette objectivité. Ce point est encore plus vrai quand on sait que le passage d’un métier de PM à un rôle de Product Ops se fait en général au sein de la même entreprise.
Alexandre Dury, Product Ops chez Decathlon, pense de son côté qu’il aurait été compliqué pour lui de devenir Product Ops sans passer par la case PM : “quand j’étais PM, je ne pouvais pas travailler sur un produit dont je n’étais pas l’utilisateur. C’est pareil en tant que Product Ops, j’ai besoin de me placer dans la peau de la personne que j’aide”.
Voir un Product Manager senior endosser le rôle de Product Ops est d’autant plus intéressant lorsqu’il est le seul Product Ops de l’organisation. Michaël Bastien l’a vécu lorsqu’il a initié la fonction chez Brevo : “à mon arrivée, tous les sujets y sont passés : la user research, le discovery, le delivery et la data. Sans mon expérience de Product Manager, cela aurait été très compliqué !”
L’ancien chef de projet transverse
Mettre en place un nouveau processus, un nouvel outil ou faire remonter les bons indicateurs pour prendre les bonnes décisions sont des tâches qui peuvent être vues comme des projets à part entière. Dès lors, il est logique de voir d’anciens chefs de projet devenir Product Ops.
Marie Gaumont, ex-Directrice Product Operations chez PayFit, a recruté plusieurs Product Ops avec une vision très claire : “c’est un métier entre la gestion de projet et la gestion de produit. De part leurs missions, les Product Ops baignent dans la culture Produit et il est plus facile pour eux de développer les compétences de gestion de produit. Je préfère donc qu’ils soient déjà compétents sur la gestion de projet, celle des stakeholders et la communication”.
Cette philosophie est partagée par bon nombre d’entreprises qui voient des Program Managers ou des PMOs devenir Product Ops. Ces profils sont notamment intéressants dans les grands groupes où la communication et la gouvernance sont deux éléments forts du travail de Product Ops, parfois un peu plus éloignés de l’opérationnel.
Margaux Gunepin est devenue Product Ops chez Hublo après avoir été cheffe de projet et cela l’a aidé principalement sur trois points. Le premier concerne l’organisation : “en tant que seule Product Ops, j’ai fortement besoin de paralléliser mes actions et c’est ce que j’ai appris au travers de mes expériences précédentes”. Le second point concerne la communication pour ces profils qui ont l’habitude de réaliser des reportings clairs pour donner plus de visibilité à leurs actions et ainsi mieux fédérer. Enfin, le troisième concerne la relation avec les autres départements, et plus spécifiquement le customer success et le support : “j’apporte un regard neuf et les PMs ont un besoin plus important de vulgariser et d’aligner leur vocabulaire, ce qui amène une meilleure compréhension de tous”.
Geoffrey Chopin, Product Ops chez Criteo est aussi un ancien chef de projet. C’est son attrait pour le monde du Produit qui l’a amené à prendre ce poste, au moment où l’organisation Produit grossissait. “Mener un projet à terme, c’est ce que j’ai toujours fait”, confie-t-il. Cette rigueur est une qualité appréciée, notamment pour la conduite du changement. Il précise quand même qu’il a dû adapter sa vision car “on ne pilote pas un produit comme on pilote un projet” et il lui a fallu s’approprier la culture Produit et notamment toujours repartir du problème. Grâce aux nombreuses interactions qu’il a eues au contact des PMs de son organisation, c’est désormais un réflexe pour lui.
Chez Hublo, Criteo ou PayFit, le Product Ops n’a pas d’objectifs en termes d’accompagnement individuel, cette tâche revenant aux managers des PMs. Ne pas avoir été Product Manager n’est donc pas vécu comme un réel frein, hormis quelques éléments comme les OKRs et la Product Strategy sur laquelle Margaux de chez Hublo a dû se mettre à niveau sans que ce soit rédhibitoire.
L’ancien consultant ou coach
Bien que la posture entre un coach et un Ops soit différente, traiter des sujets transverses propres à l’organisation est au cœur des deux rôles. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire notre article sur le rôle du Product Ops dans votre organisation Produit.
Voir d'anciens coachs devenir Product Ops est donc une évolution naturelle. Michaël Bastien a été Product Manager puis coach avant de devenir Product Ops. Pour lui, ce parcours a la vertu de favoriser l’adoption des nouveaux processus : “il est simple de décréter un nouveau processus. Le plus difficile réside dans son adoption. Cela passe par beaucoup d’accompagnement personnalisé, ce qui est le quotidien d’un coach”. Cette fameuse “conduite du changement” est le plus gros challenge d’un PM passant à la fonction de Product Ops. Être passé par la case “coaching” facilite donc cette transition.
L’exception des “bébés” Product Ops
Lorsque j’ai commencé à m’intéresser au sujet du Product Ops, je pensais que ce poste demandait une réelle expertise et donc un niveau de séniorité important. À ma grande surprise, j’ai découvert que ce n’est pas une condition sine qua non. En France, plusieurs organisations ont déjà fait confiance à des personnes en sortie d’école ou en stage pour occuper cette fonction.
Émilie Briot, Product Ops chez Alma, a par exemple commencé sa carrière en tant que Product Ops. Comme pour les anciens chefs de projet, elle y voit un avantage : “ça m’évite d’être biaisée par l’envie de vouloir calquer un processus qui a fait ses preuves autre part sans l’adapter à l’entreprise et les problématiques qu’elle rencontre”. Si elle voyait ce poste comme une porte d’entrée pour devenir PM, elle y a pris goût depuis.
Autre exemple avec Martin Lim, Product Ops chez PayFit depuis deux ans. À la sortie de stages dans la data, le Sales Ops puis la gestion de Produit, il a trouvé comment combiner les trois en devenant Product Ops Analyst. Au début, il a identifié certains freins comme le fait de n’avoir aucun bagage méthodologique et aucune légitimité de par son expérience. Mais ces faiblesses sont devenues une force : “ces limites m’ont obligé à développer une curiosité très forte pour la méthodologie et créer une relation de proximité avec les PMs.” Pour lui, la légitimité s’est créée avec le succès des initiatives qu’il a menées.
Pour conclure et comme le mentionne Michaël Bastien, “le métier est relativement jeune et n’est pas encore normé, il est donc naturel de voir ce rôle endossé par des personnes aux profils et parcours différents”. De part sa nature très dépendante des organisations (mandat et contexte), je prends le pari qu’on continuera encore longtemps à voir des profils variés qui peuvent aussi se compléter dans des dispositifs où les tâches liées au Product Ops sont réparties. Depuis l’écriture de notre article sur le rôle du Product Ops, aucune normalisation n’est apparue et cela devrait continuer. Si vous êtes convaincus que Product Ops est le futur de votre travail, je serai ravi d’en discuter avec vous.
Pour en savoir plus : découvrir notre livre Les Clés du Product Management