Anne-Sophie Tranchet, UI/UX Designer indépendante, ancienne développeuse et Gladys Dandioki, UX Writer, sont particulièrement intéressées par les questions de l’accessibilité et de l’inclusion. Pendant La Product Week, elles ont répondu à nos questions et nous donnent leur conseil sur ces sujets !
Quelles sont les nuances entre l’accessibilité et l’inclusion?
L’accessibilité et l'inclusion ont de nombreux points communs. Leur objectif est de penser des produits et des services compatibles et fonctionnant pour un grand nombre de personnes, voire pour toutes les personnes.
L’accessibilité, à la différence de l’inclusion, s’intéresse aux personnes en situation de handicap. C’est plus spécifique que l’inclusion, où l’on s’intéresse à tous types de discriminations, tout ce qui sort de la norme, ce qui nous vient à l’esprit en priorité.
Cette notion de la norme va souvent être un homme, jeune, blanc, etc. Plus on diffère de cette grande masse, plus on représente une minorité et plus on est donc exclu du design. C’est assez intéressant et hyper important, parce que ce sont de vrais enjeux sociaux et sociétaux.
Ça oblige à se poser les questions : envers qui je discrimine ? Qui est-ce que j’exclus de mes parcours ? C’est un vrai sujet.
Lorsque l’on parle d’accessibilité, il s’agit en fait d’une partie de l’inclusion. C’est important de parler d’accessibilité et pas uniquement d’inclusion. En effet, lorsque l’on parle d’accessibilité, on parle spécifiquement de ce que l’on peut faire pour les personnes en situation de handicap.
C’est reconnaître que ces personnes peuvent avoir des freins et des barrières dans certaines tâches. L’accessibilité, c’est ôter ces freins.
Comment en tant qu’UX Writer, Designer… peut-on lever ces freins ?
Il y a plein de types de handicaps différents, plein de situations différentes impactant la manière d’utiliser un service ou un Produit. Comment faire pour connaître tous ces différents cas d’usage ?
C’est un processus itératif et je pense qu’on ne peut jamais vraiment avoir fait le tour de la question, parce que les situations, les usages évoluent toujours. Ça demande donc un travail continu. L’accessibilité, tout comme l’UX, n’est jamais terminée. On ne pourra jamais dire “j’ai fini l’accessibilité d’un produit”. On peut toujours l’améliorer en rendant le produit plus facile d’accès.
Prenons l’exemple des personnes sourdes: toutes n’ont pas le même niveau de surdité. Plus l’on travaille avec des panels, plus on ressent des nuances, plus on explore le sujet. Par exemple, tant que l’on n'a pas travaillé avec des personnes sourdes on peut appliquer des bonnes pratiques, mais pour voir si elles fonctionnent vraiment il faut tester, observer, documenter et apprendre sur le terrain, pas juste sur le papier.
Il y a une question intéressante lorsqu’on travaille sur l’accessibilité d’un produit, c’est sommes-nous obligés de faire des choix en fonction des handicaps ? Parce que les besoins de certaines personnes peuvent être contraires aux besoins d’autres personnes, ça peut arriver. Est-ce que l’on peut s’adresser à tout le monde? Ou faut-il choisir qui est la cible? Qui pourra utiliser notre produit ?
Il est important de noter qu’aujourd’hui on fait souvent de l’exclusion par défaut. En tout cas, l’objectif est plutôt de faire de l’inclusion par défaut.
Il est vrai que plus l’on conçoit en ayant des équipes diverses, en prenant en compte certaines problématiques ou en testant sur un maximum de personnes, plus l’on tend vers un produit universel. Lorsque l’on a une expérience optimale, on veut absolument la proposer à tout le monde. Mais comme on le disait, toutes les personnes n'ont pas les mêmes capacités. C’est pourquoi il vaut mieux proposer des alternatives permettant à chacun d'avoir des expériences différentes et l'objectif sera quand même atteint. Prenons l'exemple du livre numérique : l'objectif, ici, c’est que l’on lise le livre. Mais il y a de nombreuses manières de lire un livre. On peut le lire en numérique, l'écouter en version audio, agrandir la police, lire noir sur blanc ou à l’inverse blanc sur noir... Ce sont des exemples d’alternatives pouvant aider à satisfaire l’objectif des utilisateurs : lire leur histoire.
Faisons un aparté sur l’empathie : elle peut être toxique ! En effet, penser que l'on peut imaginer comment telle personne avec un handicap va utiliser notre produit est impossible et biaisé. Nous avons de nombreux biais et ce que l'on imagine n’est pas la réalité. Tout simplement car on ne le vit pas tous les jours. Si l’on essaye un fauteuil roulant pendant une journée, ça n'équivaut pas du tout à être en fauteuil tous les jours. C'est pour ça qu'il faut plutôt écouter les personnes concernées qu’essayer de se mettre “à la place de”...
On ne peut pas se mettre à la place d'une personne transgenre si on ne l’est pas. On peut lire des livres, se documenter, interroger etc. Mais est-ce que c'est parfait ? Non, ça permet d’en apprendre un peu plus.
Il est recommandé de se baser sur des données, sur des recherches, sur des interviews. Lorsque l’on échange avec une personne handicapée, on comprend qu’une action nous prenant 10 minutes, elle lui prend 1 heure 30. C’est important alors de comprendre pourquoi elle prend 1 heure 30 ? Si cette personne vous explique qu’elle remplit son panier et que lorsqu’elle arrive à la fin c'est au niveau du paiement que ça bloque, vous comprenez alors sa problématique. Il faut savoir que les personnes en situation de handicap passent beaucoup plus de temps sur internet que les autres et cela juste parce qu’il y a un manque d’accessibilité !
Ce que l’on peut essayer de faire - on n'a pas toujours les conditions pour malheureusement - c'est s'appuyer sur des données, tester au maximum quand on laisse les moyens de le faire. L'empathie dans le design, ce n'est pas de se mettre “à la place de” mais c'est apprendre d'eux ! Écouter et surtout ne pas juger !
Revenir aux utilisateurs et utilisatrices est donc essentiel car ce sont eux qui peuvent donner du feedback sur leur quotidien, leur usage, sur eux-même. Comment est-ce qu'ils vivent et utilisent un produit ? Comment je vais apprendre des autres ? Quand on fait de la recherche, on ne juge pas. On prend l'information, on l'analyse, on la partage et on essaie d'en faire un truc. L’objectif est de nourrir son design mais sans être dans le jugement, c’est la clé.
Pour conclure, on peut dire qu’en termes d’accessibilité, il y a beaucoup de choses à faire et que l’on n'est clairement qu'au début...