Triste constat en ce début d’année 2025. Le baromètre LPC 2024 continue de révéler des écarts salariaux alarmants entre hommes et femmes, notamment pour les Product leaders. Alors, comment expliquer ces divergences ? Quelles solutions mettre en place pour y remédier ? Trois figures incontournables du Produit français prennent la parole.
“C’est déprimant.” La CPO de Back Market Amandine Durr ne mâche pas ses mots en évoquant la partie salaire des résultats du baromètre LPC 2024. Et on peut comprendre pourquoi : si les rémunérations ont augmenté au global, des disparités entre les hommes et les femmes apparaissent clairement.
Ainsi, les hommes Product Managers entre 5 et 15 ans d'expérience gagnent entre 9% et 15% de plus que les femmes avec les mêmes niveaux de séniorité. Un écart qui reste à hauteur de 13% au-delà de 15 ans d’expérience. Côté Product Design, les hommes entre 5 et 15 ans d’expérience gagnent jusqu'à 11% de plus que leurs homologues féminins. Mais c’est chez les Product Leaders que se trouvent les différences les plus impressionnantes : les hommes entre 10 et 15 ans d'ancienneté gagnent 13% de plus que les femmes avec les mêmes niveaux d'expérience, un écart qui grimpe à 18% de plus après 15 ans.
À qui la faute ?
Pour Amandine Durr, cette injustice n’est pas propre au Produit. “Je pense que le problème existe quel que soit le secteur. À armes égales, les femmes ont plus de mal à négocier leur salaire.” Une analyse partagée par Marion Darnet. La fondatrice de Pachamama, collectif d'agents de carrière dans le Produit, accorde beaucoup d’importance à ce sujet, elle qui est aussi à l’origine de L’Avant-Garde, une communauté de 150 femmes Leaders Produit. “Les femmes n’osent pas demander. Et quand on ne demande pas, on n’obtient pas !”
Pour aller plus loin : téléchargez gratuitement l’intégralité du baromètre LPC 2024 sur l’état du Product Management en France
Comment expliquer cette retenue et pourquoi cela touche également des femmes expérimentées, avec plus de 10 ou 15 ans de carrière dans le Produit ? “Parce qu’on ne leur a jamais appris à valoriser le fait de se vendre, de se mettre en avant. C’est donc plus dur d’obtenir des projets stratégiques, explique Marion Darnet. Les hommes font ça beaucoup plus naturellement. Ils osent demander, sans être aussi touchés en cas de refus. Ils gravissent plus facilement les échelons parce qu’ils le font avec confiance, même sans avoir toujours toutes les compétences requises. Les femmes passent trop de temps à se demander ce qu’il va se passer si on leur dit non et finissent par ne pas vouloir prendre de risques.” Or, la fondatrice de Pachamama considère que cela fait partie intégrante du métier de Product Leader : “Quand on est CPO, on est aussi chargé de la gestion des parties prenantes. Et cela inclut aussi aller voir son N+1 en lui montrant de façon objective ses réussites personnelles, son impact, et sa valeur sur le marché pour demander une augmentation.”
Les entreprises faces à leurs responsabilités
Pour autant, il ne s’agit pas de dire que la balle est dans le camp des femmes, insiste Marion Darnet. “Les managers ont un vrai rôle à jouer, et ils ne le jouent pas assez selon moi. À eux aussi de prendre conscience que les femmes ont ce biais et de l’intégrer dans toutes les étapes du processus de recrutement ou d’évolution de carrière, y compris les augmentations, souligne-t-elle. Les solutions elles sont là, on les connaît..”
Sylvain Grande est le CPO de PayFit. Il n’hésite pas non plus à monter au créneau pour en appeler aux entreprises, qu’il considère comme les premières responsables de ces écarts, en particulier les Ressources Humaines et les managers. Car si certains sont justifiés par des niveaux différents de compétences ou d’expérience, “ les managers ne sont pas assez challengés pour prendre conscience des biais existants et les corriger, avec des outils de pilotage par exemple.”
Ne baissez pas les bras ! Continuez à réclamer le salaire qui vous est dû en fonction de vos compétences et de votre valeur
Le Leader Produit considère que ces inégalités sont aussi dommageables pour les femmes que pour l'écosystème. “À compétences égales, les opportunités devraient l’être aussi”, regrette Sylvain Grande, pour qui l’écart salarial n’est pas seulement une injustice, mais aussi un frein à l’innovation et à la performance collective. Repenser nos processus de recrutement et de promotion est essentiel : la diversité, ce n’est pas qu’une statistique, c’est une stratégie gagnante pour le Produit et le Design. C’est rare de créer une application uniquement pour les hommes blancs de moins de 30 ans.”
Pour le CPO de PayFit, c’est aux entreprises de travailler à rectifier les inégalités. Le département “Comp&Ben” (Compensation & Benefits) de son organisation a par exemple mené une étude incluant l'intégralité des plus de 650 PayFiters et PayFitrices pour analyser puis corriger des écarts anormaux éventuels. “Les quelques cas que j’avais dans mes équipes concernaient des profils entrés dans l’entreprise à des niveaux très juniors et dont l’évolution de salaire n’avait pas forcément suivi le marché. C’est important pour créer une sorte d’escalier : je crois beaucoup à l’effet d’entraînement ! J’ai la chance d’avoir un certain nombre de femmes parmi les leaders Produit et Design avec qui je travaille, et je pense que c’est toujours plus simple pour la deuxième, la troisième et la quatrième que pour la première.”
Avoir des femmes à des postes à responsabilités, c’est aussi la clé pour Amandine Durr. “Les femmes Product Leaders sont plus attentives à ces questions, et ces situations ont moins tendance à se produire. Dès que je suis arrivée à des postes de ce niveau, j’ai pu corriger les inégalités au sein de mes équipes. Même si je ne pense pas que cela parte forcément d’une mauvaise intention, les hommes ont moins ce réflexe.”.
Product Marketing, Product Design : les femmes aux commandes ?
Petite surprise cette année : le baromètre LPC révèle aussi des écarts pour les Product Designers et Product Marketers les plus expérimentés… Mais cette fois en faveur des femmes ! Les Product Marketing Managers femmes avec plus de 15 ans d'expérience gagnent 18% de plus que les hommes. Pour les Product Designers, cette différence monte à 25%. Une bonne nouvelle pour Sylvain Grande. “ Il est parfois positif d’avoir à la fois des écarts en faveur des femmes et des hommes dans la même grille, car cela montre qu'il y a de la diversité. Je suis moins inquiet par une grille où hommes et femmes ont des avantages différents que par une situation où les hommes ont systématiquement 15 % de plus..”.
La fondatrice de Pachamama Marion Darnet, a plusieurs hypothèses pour expliquer ces écarts : “Est-ce parce que les femmes seniors en Product Design ont pris l'habitude de se battre pour valoriser leur métier et, de ce fait, connaissent leur valeur sur le marché ? Ou le fait qu’il y a très peu de femmes leaders en Product Design dans l’écosystème et que les boîtes, prêtes à payer plus, veulent absolument une femme sur ces postes là ? Je n’ai pas de certitudes.”
Pour ce qui est du Product Marketing, son analyse est un peu différente. “Il y a plus de femmes dans ce secteur, mais les très bons profils sont rares. Le volume fait que celles qui arrivent au sommet de la pyramide sont vraiment des “rock stars”. Elles cochent toutes les cases, et elles sont donc très bien payées.”
Amandine Durr voit les choses d'un autre oeil. “Il faut voir quelle place ces disciplines occupent au sein des entreprises. Sont-elles au COMEX, comme peut l’être le Produit ? Je ne crois pas. Or il n’y a pas les mêmes biais dans une équipe VP et au sein d’un COMEX, ce dernier étant en réalité un environnement très masculin.” Quoi qu’il en soit, elle appelle tous les acteurs à se mobiliser, en s’adressant d’abord aux femmes : “Ne baissez pas les bras ! Continuez à réclamer le salaire qui vous est dû en fonction de vos compétences et de votre valeur, sans vous mettre de freins. Mais n’oublions pas qu’une négociation c’est 50/50.”
Il faut donc que les lignes bougent des deux côtés. Et vite, selon Sylvain Grande : "Les écarts salariaux sont la responsabilité de tous, et nous avons les moyens d'agir rapidement. Les données nécessaires existent déjà dans les entreprises : elles doivent être utilisées pour identifier et corriger ces inégalités. C'est en mobilisant chacun, des équipes aux dirigeants, que nous pourrons créer un écosystème plus juste et performant."