OKR m’a tuer : qui est vraiment coupable ?

  • mise à jour : 17 mars 2025
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On peut affirmer sans trop d'inquiétude que les OKR ne font pas l’unanimité. Entre ses défenseurs et ses détracteurs, le framework déchaîne les passions dans l’écosystème Produit. Car si les OKR ont connu un tel succès chez plusieurs géants de la Tech, comment expliquer que tant d’entreprises échouent aujourd’hui à les mettre en place ? A qui la faute ? Dans cet article, découvrez comment réussir à utiliser la méthodologie avec succès, à travers des retours d’expérience d’experts Thiga et de spécialistes internationaux du framework.

1975. Le PDG d’Intel Andy Grove met en place une méthode pour aligner objectifs stratégiques et performances opérationnelles : les Objectives and Key Results (OKR). Des années plus tard, un ancien employé de la boîte introduit les OKR dans une entreprise américaine fondée un an plus tôt, en 1998 : Google. L’entreprise s’en sert comme levier de structuration et de croissance. Ainsi, elle pose les bases qui lui permettront de devenir le colosse qui domine aujourd’hui l’économie mondiale.

Nombreuses sont les entreprises à avoir voulu suivre l’exemple de Google. Après tout, quoi de plus logique à l’ère du digital ! Le hic est qu’il ne suffit pas de ressembler à Google pour faire du Google. Beaucoup d’entre elles se sont cassées les dents sur les OKR, tandis que d’autres continuent à les employer à l’heure actuelle. Au point que la méthode est parfois décriée. Pour Constant Hameau, Head of Product chez Thiga, le framework n’est pas en cause, bien au contraire : “Les OKR en tant que tels - des objectifs inspirants, tournés vers l'avenir et des KPIs clairs à suivre pour mesurer l’atteinte de ces objectifs c’est simple à piloter et clair pour toutes les parties prenantes. Il n’y a pas de débat là-dessus !”

Un levier de croissance unique

Bien utilisés, les OKR sont un vrai levier opérationnel, souligne le coach et consultant en Product Management Tim Herbig : “Ils permettent un meilleur alignement des équipes sur les priorités stratégiques de l’entreprise, renforcent leur autonomie en les orientant vers les outcomes plutôt que les outputs, rendent visibles les dépendances et aident à mesurer les avancées dans la transformation”, liste celui qui aide notamment les entreprises à utiliser le framework de la manière la plus adaptée à leur contexte.

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Constant Hameau voit même dans le framework un levier qui devient particulièrement valorisable pour mesurer le “pari” pris par une entreprise sur un laps de temps donné. “C’est un formidable accélérateur en termes d’alignement et d’exécution. L’activité structurelle de la boîte, qu’on appelle le “RUN”, n’a pas besoin d’être prise en compte dans les OKR. En revanche, les chantiers menés pour exécuter la stratégie d’entreprise (le “BUILD”) peut et doit être mesuré par les OKR”, affirme-t-il.  Et dans le cas où il n’y a qu’une seule ligne de business, on peut fixer ces objectifs en haut de la pyramide organisationnelle et les faire découler facilement, car tout le monde a les mêmes sujets.”

 Si vous les adoptez juste parce que Google le fait ou parce que ça sonne bien en réunion, épargnez-vous cette peine

Plus facile, d’accord. Mais pas forcément plus intéressant, en tout cas aux yeux d'un autre consultant Thiga : Hugo Klein. Cet expert en transformation digitale est intervenu auprès de plusieurs groupes du CAC40 pour les accompagner dans la mise en place des OKR. “Les grosses entreprises où j’ai pu intervenir ont une structure complexe. Mais plus c’est complexe, plus l’impact des OKR peut être fort. Dans une entreprise du retail où j’ai été en mission, le digital regroupait plusieurs domaines qui travaillaient sur des sujets différents, allant de la circularité à l’e-commerce en passant par la Value Chain. Si tu veux que ces équipes travaillent ensemble sans que chacun priorise sa roadmap de son côté, il faut leur donner des objectifs communs. Les OKR sont un moyen de le faire. Alors oui, c’est très challengeant, mais il y a beaucoup à gagner.

À méchant ouvrier, point de bon outil

Si la faute n’est pas celle du framework, alors elle en revient logiquement aux entreprises. Christina Wodtke, qui enseigne le Product Management à la prestigieuse université de Stanford, rappelle qu’il est absurde de blâmer une méthode si on ne l’applique pas correctement. L’experte est formelle et va même plus loin, estimant qu’utiliser les OKR de façon mécanique revient à creuser sa propre tombe. “Les OKR exigent un véritable engagement d’apprentissage organisationnel et de transparence. Si vous les adoptez juste parce que Google le fait ou parce que ça sonne bien en réunion, épargnez-vous cette peine. Ce n’est pas une solution miracle, mais un cadre qui demande de la discipline, de la rigueur et une véritable transformation culturelle. Si votre organisation repose sur un modèle rigide de command and control et que vous n’êtes pas prêt à changer ça, il vaudrait peut-être mieux travailler sur votre culture avant de vous lancer dans les OKR », conclut-elle.

Hugo Klein partage ce constat. Pour lui, il est indispensable d’adopter un état d’esprit compatible avec les OKR. “Il faut par exemple abandonner la volonté de voir systématiquement ses équipes atteindre leurs objectifs à 100%. Avec les OKR, il est possible de travailler avec toute son énergie sans atteindre totalement l’objectif fixé. Et ce n’est pas un drame !, tempère-t-il immédiatement, avant de reprendre. Les objectifs doivent être ambitieux pour être motivants, mais restent des objectifs. Pas des engagements ! Si tu ne les atteins pas et qu’ils restent pertinents, il suffit de les reprendre au trimestre suivant.

Le guide pour mettre en place les OKRs

Une fois l’entreprise prête culturellement à se lancer dans un tel chantier, comment être sûr de son coup ? De par leur expérience, Hugo Klein et Constant Hameau ont identifié plusieurs leviers indispensables pour que la mise en place des OKR soit un succès.

Limiter le nombre d’OKRs

Dans un monde idéal, une entreprise ne se fixerait qu’un seul OKR, et donc un seul objectif à atteindre. Dans les faits, la liste d’OKR vire souvent à l’inventaire à la Prévert. Étant donné qu’il y a généralement entre 2 et 5 résultats clés à suivre pour chaque objectif, les équipes peuvent vite se retrouver noyées. “Le but des OKR est de pouvoir concentrer ses efforts. Si tu n’arrives pas à faire des choix, l’exercice est i-nu-tile”, martèle-Hugo Klein. “Il n’en restera qu’un Excel à remplir chaque trimestre et qui n’aura aidé personne.  Plus les entreprises sont grosses, plus les interdépendances sont nombreuses. C’est pour ça qu’il est important d’avoir une vision holistique, en étant vigilant aux objectifs des autres équipes.

Aligner les OKRs et la stratégie globale de l’entreprise

Le grand bénéfice des OKR est d’aligner les équipes et donner des priorités pour décupler l’impact. Or, Constant Hameau constate que beaucoup d'entreprises tombent le même piège : “La plus grosse erreur est d’appliquer les OKR à un niveau intermédiaire de la pyramide organisationnelle, sans commencer au sommet avec objectifs pour la société au global qu’on peut ensuite faire découler”. 

Comme pour l’alimentation ou le sport, tout le monde sait quoi faire, mais seule la régularité et une mise en oeuvre correcte produisent des résultats

Un contre-sens selon Hugo Klein, pour qui les OKR d’entreprise doivent servir de guide : “Si l'entreprise dit qu'il faut aller à gauche, il faut que tout le monde aille à gauche…, sourit-il. En partant de la stratégie d'entreprise, on peut fixer des objectifs stratégiques annuels dans chaque département ou chaque équipe, objectifs stratégiques auxquels les équipes en dessous se rattachent avec des objectifs tactiques trimestriels.” Évidemment, les sous-équipes doivent s’aligner sur les initiatives, pour que la roadmap reste cohérente. Si dans une même unité le Product Manager, le Designer et le Tech Lead ont trois OKR différents, chacun va essayer d’atteindre son propre objectif, ce qui va nuire à la collaboration.

Impliquer les équipes 

Quand on lui demande pourquoi la direction d’une entreprise ne pourrait pas décider unilatéralement des OKR de toute l’organisation, l’expert en stratégie Produit répond sans ambages. “Dans quoi avez-vous le plus envie de vous investir ? Un projet où on vous dit ‘voilà la destination où on veut aller, et on vous fait confiance pour voir comment y parvenir’, ou un autre où on vous dit ‘alors il faut faire trois pas à gauche, trois pas à droite, avancer, reculer, courir, sauter…’ ?, s’amuse-t-il. “Il faut laisser une part de réflexion aux équipes sur le terrain, qui connaissent leur contexte.” 

Pour garder les équipes bien impliquées, attention à ne pas trop lier les OKR à leurs objectifs de rémunération… Ou au contraire, à obliger les employés à choisir entre les OKR et un objectif auquel serait associé leur bonus ! “D’un côté, si cela leur permet de toucher un plus gros bonus, ils se mettront des OKR plus facilement atteignables, ce qui est un non-sens ! Les OKR doivent être ambitieux ! D'un autre côté, j'ai déjà vu des entreprises mettre en place des OKR qui étaient en quasi opposition avec les objectifs annuels que les équipes devaient atteindre pour toucher leurs variables. Je vous laisse deviner à quoi ils ont consacré leurs efforts…” Une question de juste mesure, en somme. 

Suivre régulièrement les progrès

Impliquer les équipes, c’est la moitié du travail pour ne pas que la dynamique s'essouffle. L’autre moitié nécessite de les suivre ! Une fois les objectifs annuels et trimestriels fixés, il est vital d’instaurer des points d’étape pour être certain que les équipes avancent dans la bonne direction. Au moins une fois par mois, estime Hugo Klein, en plus des suivis trimestriels qui sont des étapes clefs. Ce qui implique d’avoir si possible une personne dédiée à ce suivi, complète Constant Hameau. “Quelqu'un qui va s’assurer que tout le monde fait bien ce qu’il a à faire, qui crée des rituels pour se synchroniser par rapport aux objectifs fixés et pour faire une rétrospective à la fin du quarter pour voir s’ils ont été atteints. Et, dans le cas contraire, qui voit ce qui n’a pas marché pour le régler avant la prochaine session…. Au risque que ça retombe comme un soufflet.” Et bon courage pour retenter votre chance l’année suivante !

En clair, comprendre les OKR est une chose. Bien les appliquer en est une autre, comme le résume bien Christina Wodtke : “Comme pour l’alimentation ou le sport, tout le monde sait quoi faire, mais seule la régularité et une mise en œuvre correcte produisent des résultats. Vous saurez que vos OKR fonctionnent lorsque vos équipes apprendront et s’adapteront rapidement, auront des discussions ouvertes sur leurs avancées, se concentreront sur les résultats plutôt que sur les tâches, collaboreront efficacement, prendront des décisions en toute autonomie et progresseront vers des objectifs ambitieux”. 

Pour autant, Hugo Klein appelle les entreprises à ne pas être trop dogmatiques. “Il ne faut pas jouer à l’ayatollah des OKR ! Appliquer le framework à la virgule près ne fonctionne pas. Il faut l’adapter à son contexte. Jouer avec, le pousser, le tester. Et en tirer des leçons”. L’enjeu des OKR ne se résume pas à atteindre des objectifs chiffrés; il s’agit de transformer la manière dont l’organisation fonctionne et apprend de manière commune.

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