On ne conçoit pas un produit de Medtech, la technologie de la santé, comme un produit classique. Ici, on ne parle pas d’optimiser le parcours client d’un site e-commerce ! Les produits digitaux en Medtech ont pour vocation d’aider les professionnels de santé à soigner, voire à sauver leurs patients. À ce titre, la moindre erreur peut avoir des conséquences graves. Martin Haver, Senior Product Manager chez Thiga, livre dans cet article son expérience dans la Medtech et donne ses conseils pour exceller dans ce secteur unique.
Être Product Manager en Medtech, c’est un métier à part. Construire un produit qui a un impact direct sur la vie des patients est une responsabilité immense ! Une fonctionnalité mal pensée ne risque pas seulement de faire baisser le taux de rétention : elle peut compromettre un diagnostic ou entraver le travail d’un médecin. Mais en même temps, nos produits ont un véritable impact. Applications de suivi, robots chirurgicaux, imagerie médicale, impression 3D d’organes… Le champ des possibles est immense ! Très vite, j’ai su que ce domaine me passionnerait.
Ma carrière m’a menée chez deux acteurs de la Medtech : une startup développant des outils de diagnostic de cancer basés sur l’intelligence artificielle, et une entreprise où j’ai travaillé sur un outil SaaS de télésuivi des patients transplantés. Dans cet article, je partage mon expérience de PM en Medtech, entre réglementations strictes, défis d’interopérabilité et évangélisation face à des utilisateurs sceptiques. Et surtout, une leçon que j’ai apprise : quand on parle de santé, l’innovation n’est pas qu’une question de technologie.
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Naviguer dans un univers ultra-réglementé
La première claque qu’on reçoit lorsqu'on entre dans la Medtech, c’est la réglementation. On se doute que le secteur est contrôlé, mais croyez-moi qu’on ne réalise pas à quel point il l’est avant d’y être confronté. J’ai découvert que pour certifier un logiciel médical, il faut suivre des processus extrêmement rigoureux, définis par des normes ISO (standards internationaux établis pour garantir la qualité, la sécurité et l’efficacité). Par exemple, travaillant sur un dispositif médical certifié, pour valider un simple changement sur l’interface utilisateur, nous devions vérifier et documenter son impact sur la conformité du produit.
Toutes ces vérifications prennent un temps fou. Je me rappelle d’une fois où, pour valider la conformité ISO d’un produit, une équipe de cinq personnes a dû exécuter manuellement un plan de test pendant un mois entier. Imaginez un ou deux sprints entiers consacrés à du testing réglementaire! Cette lourdeur a un impact énorme sur la roadmap Produit. On ne peut pas itérer comme dans une startup classique. Chaque mise à jour doit être justifiée, testée et approuvée selon des standards précis. Si un produit est déjà certifié et que l’on souhaite faire une modification majeure, il faut souvent recommencer une partie du processus de certification. Tout cela implique une planification ultra-stratégique et une rigueur d’exécution impitoyable.
QARA, ce garde-fou indispensable
Un bon PM Medtech apprend vite que l’équipe Qualité et Affaires Réglementaires (QARA) n'a pas juste vocation à vous casser les pieds. J’admets que j’ai d’abord eu tendance à voir QARA comme un frein au développement, imposant toujours plus de documentation et de tests. Mais en voyant son rôle dans la protection des patients, j’ai changé d’avis.
Alors oui, l’équipe QARA nous ralentit… Mais pour de bonnes raisons ! Elle nous pousse à repenser des choix auxquels on aurait pas assez réfléchi. Elle est aussi une garantie face aux audits et aux contrôles. Grâce à elle, j’ai évité plusieurs erreurs qui auraient pu nous coûter des mois de retard. Et surtout, l’équipe Qara nous permet de comprendre ce qui est faisable ou pas quand on travaille sur un dispositif médical certifié. En clair, elle est la boussole sans laquelle nous naviguerions à l’aveugle dans cet océan de régulations.
L’interopérabilité : un défi plus politique que technique
Dans d’autres industries, brancher une API et faire dialoguer des systèmes semble une formalité technique. En Medtech, l’interopérabilité dépasse largement le cadre de la faisabilité. Par exemple, quand nous avons voulu connecter un logiciel à un hôpital via leur Système d’Information Hospitalier (SIH), nous avons découvert que la difficulté n’était pas la compatibilité technique. Il fallait surtout convaincre l’hôpital d’accepter cette intégration… Et la décision n’était pas simplement entre leur main. Le fournisseur du SIH a aussi son mot à dire ! Et souvent, il n’apprécie guère les initiatives externes.
Certains disaient même : “Si c’est évident, je n’ai pas besoin de l’IA. Et si c’est opaque, c’est difficile de lui faire confiance.”
Tout cela nous a demandé un vrai travail de diplomate. Il nous a fallu identifier des alliés influents à l’intérieur de l’hôpital – médecins, directeurs informatiques – capables de pousser en notre faveur en interne. Sans leur soutien, aucune intégration n’aurait été possible, peu importe la qualité technique de notre solution.
Comprendre les utilisateurs : entre scepticisme et pragmatisme
En Medtech, comme pour plein de produits digitaux, les utilisateurs sont légion : médecins, infirmiers, patients, décideurs hospitaliers…. Chacun avec ses propres besoins et contraintes. Mais une spécificité se dégage : la résistance au changement.
Prenons les médecins. Ils sont généralement sceptiques face aux outils basés sur l’IA. Chez un client, nous avions un algorithme très performant pour prédire la survie d’un organe transplanté. Mais certains médecins l’ignoraient presque systématiquement, car il ne fournissait pas d’explication sur ses résultats. Pour eux, un outil qui donnait une prédiction sans justification était soit inutile, soit dangereux. Certains disaient même : “Si c’est évident, je n’ai pas besoin de l’IA. Et si c’est opaque, c’est difficile de lui faire confiance.” En outre, les soignants sont obsédés par l’ergonomie et l’efficacité. J’ai vu des médecins compter le nombre de clics nécessaires pour réaliser une tâche, démontrant que les logiciels actuels leur faisaient perdre du temps. Si un outil leur fait clairement gagner 30 secondes par tâche, ils l'adoptent. Sinon, il reste au placard.
En d’autres termes, pour convaincre tous ces utilisateurs récalcitrants, mais pragmatiques, il faut leur parler pas seulement en termes de fonctionnalités mais plutôt en termes d’impact direct sur leur travail et surtout expliquer davantage ce qui se passe derrière les algorithmes IA.
Vous l’aurez compris, la Medtech est un domaine unique, à la fois passionnant et plein de contraintes. Mon seul conseil à un.e PM qui débute dans ce secteur : ne vous précipitez pas. L’exécution rapide et les itérations constantes ont beau être des piliers du Product Management, vous ne pouvez les appliquer à la lettre dans ce contexte.
Car un produit mal conçu est parfois plus néfaste qu’un produit qui ne sort pas. En santé, une seule erreur peut détruire la confiance des utilisateurs pour de bon. Si les professionnels cessent d’utiliser votre solution, ils ne reviendront pas. Mieux vaut avancer lentement, mais sûrement. En proposant toujours une qualité irréprochable. Je me répète : quand on parle de santé, l’innovation n’est pas qu’une question de technologie. Il s’agit de réinventer notre manière de travailler, en y appliquant plus de rigueur et en gardant toujours un œil sur la réalité du terrain. Voire même les deux.