“Ma reconversion de Product Manager à Product Designer”

  • mise à jour : 25 mars 2024
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Xavier Tomaszewski est Product Designer chez Thiga. Dans cet article, il vous raconte le parcours qui l’a amené à changer de rôle au sein des équipes Produit et à abandonner sa casquette de Product Manager.

Vous vous souvenez de votre conseiller d’orientation du collège ou du lycée ? Celui qui voulait vous donner une direction, un sens, un but professionnel. Celui qui vous aidait à planifier l’après bac ou même l’après Master, avec cette fameuse question : “Alors qu’est-ce que tu voudras faire plus tard ?”.

Longtemps, je me suis posé cette question.

Trouver sa voie, le métier de ses rêves, l’activité dont on se lassera jamais est une véritable quête, malheureusement pas à la portée de tout le monde. Il faut une certaine force pour prendre les choses en mains, se réinventer et changer le cours du jeu pour ne pas tomber dans le piège d’un quotidien sans goût. Un des dangers réside dans le fait d’être éternellement insatisfait et de chercher toujours autre chose.   

Entre les années collège et aujourd’hui, quinze années se sont écoulées. Qu’ai-je fait tout ce temps ? J’ai rebondi jusqu’à trouver ma voie !

Le premier rebond intervient juste après le bac, lorsque je m’inscris à la faculté pour suivre des études de droit. Bilan : beaucoup de temps passé à la bibliothèque, une licence et la certitude après trois ans que ces métiers du droit ne sont pas faits pour moi. 

Deuxième rebond : le lancement de Dresswing, app de location de vêtements et d’accessoires de luxe entre particuliers. Membre de l’équipe fondatrice, je fais le couteau-suisse : chefferie de projet digital, gestion administrative, recherche de financement, structure des process commerciaux, logistique et opérationnel, etc… Il s’agit pour nous d’apporter une réponse à la surconsommation de vêtements et à la sous-utilisation des dressings des particuliers. La promesse est double : rentabiliser son dressing et ne payer que le temps de consommation d’un article de luxe.

C’est sur les activités autour de notre produit digital que mon intérêt se porte. Nous avons peu de moyens, des prestataires externes donc une organisation très bancale. A l’époque, nos méthodes de travail sont catastrophiques. Des erreurs sont commises mais j’apprends beaucoup.. Cette histoire-là occupe quatre ans de ma vie. 

Le troisième rebond se fait chez Thiga. A priori, le conseil n’est alors pas une option pour moi. J’en ai une mauvaise image. Je crois que c’est l’idée d’être au cœur de cette expertise Produit qui me pousse à envoyer mon CV. Je viens de passer quatre ans assez isolé dans ma startup. Quatre ans à essayer de faire du Produit avec deux allumettes, sans méthode et complètement hypnotisé par la vision qu’on avait du projet et non par la réalité marché. J’ai alors envie de faire les choses bien, avec des experts, des moyens. Bref, j’ai envie d’apprendre. Lors de l'entretien je rencontre Julien Margouillat (recruteur) et Stéphane Coussement (directeur financier) qui ont clairement fini de me convaincre. Je suis alors séduit par ce qui fait toujours la force de Thiga aujourd’hui : des gens brillants, drôles et bienveillants.

 

Le plongeon dans le grand bain

Au moment de postuler en tant que Product Manager (PM), je ne suis pas une star du Produit (aujourd’hui non plus d’ailleurs). J’ai une bonne vue des pièges à éviter en startup (merci Dresswing), mais l’exercice est différent au sein d’un cabinet de conseil, d’autant plus que la mission se déroule chez un grand compte. L’instinct de survie, en revanche, reste le même.

J'ai l'impression d'être au cœur du cyclone. C'est pour moi l'intérêt et le défaut de ce métier de PM. On est responsable de tout, mais on ne contrôle parfois pas grand chose...

C’est chez Disneyland Paris que je découvre ce qu’est réellement le Product Management dans une grande organisation. Tout commence très fort avec le PI planning lors de mes deux premiers jours. J’entre directement dans le dur en prenant la place d’un PM absent. C’est là le début d’une course aussi infernale que passionnante durant neuf mois. J’ai, à ce moment-là, à la fois le sentiment d’être un escroc parmi des experts - loin du niveau attendu d’un consultant - et celui d’être à ma place. Je comprends très vite qu’on partage tous ce sentiment d’imposture, et surtout que je réponds largement aux attentes.

Je découvre un métier très intéressant, un rôle complexe qui nécessite de jongler avec beaucoup de compétences. Je passe beaucoup de temps à croiser les informations, à les synthétiser, à les partager. J'ai l'impression d'être au cœur du cyclone. C'est pour moi l'intérêt et le défaut de ce métier de PM. On est responsable de tout, mais on ne contrôle parfois pas grand chose. Pendant tout ce temps, je côtoie des UX Researchers et UX/UI Designers. Je suis fasciné par leurs méthodes et les livrables qu'ils nous présentent.

Mars 2020. Le Covid arrive et les hôtels du parc Disney ferment. Je n’attends pas bien longtemps pour voir ma mission se terminer ! J’ai l’impression de me faire larguer, en mode “c’est pas toi, c’est nous”. C’est brutal mais c’est la réalité du conseil. Devant de telles coupes budgétaires, personne n’y peut rien. Première leçon en tant que consultant : ne pas le prendre personnellement.

J’enchaîne trois mois de chômage partiel. Une aubaine pour prendre un peu de recul sur ces neuf mois passés très vite. Malgré des rencontres très précieuses, certains aspects négatifs apparaissent :

  • Je suis usé par des journées remplies de réunions.
  • Je produis peu de livrables à part des slides et des user stories.
  • Je me fais d'innombrables nœuds au cerveau pour fluidifier la résolution de problèmes techniques.

 

La bascule

Le Covid bat son plein. Du fond de mon canapé confiné, je commence à lire des articles et à regarder des talks sur différents sujets : l’ergonomie dans la conception de produits digitaux, la responsabilité, la montée du rôle de Product Designer, UX design etc... Le livre Le Product Design dans une organisation Produit” publié par Thiga en 2020 nourrit également mes réflexions. Je commence à comprendre ce qui se cache derrière ces disciplines. Dans ma tête germe l'idée d'une réorientation. 

Je sens que cela peut me correspondre sur de nombreux aspects. L’élément le plus attrayant ? Le travail de production ! Je suis alors séduit par l’idée de pouvoir me concentrer sur une tâche à la fois complexe et précise, qui se traduirait par un livrable concret. Je suis également sensible à l'aspect technique, qui m’est alors complètement étranger : travailler des structures de composants, de fichiers, etc…

Au détour d’une conversation avec François Laurain (ancien directeur commercial de chez Thiga), j’évoque l’idée - timide à l’époque - de m’essayer au métier de Product Designer. Sa réaction est typique de chez Thiga : positive, ouverte, enthousiaste ! Mais l’échange s'arrête là : la démarche n’est pas anodine et c’est une conversation que je dois continuer avec mon manager si je veux que cela se concrétise.  

À ma grande surprise, François revient vers moi quelques semaines plus tard. Je l’entends sourire au téléphone : “Une mission Product Design chez Adie nous est tombée dessus. Tu en penses quoi ?” me lance-t-il. D’abord, j’hésite. Il s’agit de ne pas mettre en péril la réputation de Thiga. Je prends la température auprès des consultants de la boîte qui me passeraient le relais chez Adie. Le challenge me parait jouable. J’aime les défis, et ils nous font confiance. Je me lance…

L’aventure dure trois mois. Trois mois de conception incluant idéation, prototypage et test d’utilisabilité… Autant d'activités que j'ai déjà vues de loin. Mais la théorie et la pratique, ce n'est pas la même chose. Trois mois donc, à transpirer du matin au soir. En termes de challenge et de montée en compétences, on peut dire que je suis servi. Hanté par ce satané syndrome de l’imposteur, je crains que la qualité de mon travail ne soit pas à la hauteur. C’est avec l’appui de deux acolytes consultants chez Thiga que le contrôle qualité est maîtrisé. Grâce à Rémi Taieb et Mathias Frey, deux pointures super expérimentées, ma mission s'avère être un succès.

Ce premier essai confirme mes intuitions : entre les activités de recherche utilisateur, de conception et de facilitation, je ne vois pas le temps passer.

S'ensuivent neuf mois de mission PM chez Dior et Leboncoin. Le temps pour le marché de revenir à la normale, et pour moi de me préparer correctement à ce changement de carrière. Il faut pouvoir être “vendable”. Il s’agit donc de se mettre dans les bonnes conditions et de prendre le temps qu’il faut pour le faire. Mon manager de l’époque, Samy Hofer, et Mathias Frey (encore lui !) m'accompagnent dans la démarche.

Ces neuf mois de préparation sont rythmés par mon travail de PM la journée, et par des exercices de design le soir et le week-end. Un petit point mensuel à trois, (Samy, Mathias et moi-même), simple et efficace, nous permet de faire le point sur les objectifs fixés et de passer en revue les livrables. Mathias consacre beaucoup de temps à me faire des retours détaillés et réguliers. L’idée était de valider une à une toutes les compétences d’un Product Designer chez Thiga.

Mon plus gros défi ? L’UI Design. N’étant pas formé au design, je dois apprendre les règles et bonnes pratiques, ainsi que la technique de l’outil. Pas évident pour moi,” boomer” dans l’âme et pas technophile pour un sou. Pour acquérir cette compétence, rien ne vaut la pratique répétée. Je passe donc des heures dans ma cuisine à copier des interfaces web et app qui me plaisent. 

L’organisation des UI Thiga Awards m’aide beaucoup. C’est un concours de design organisé au sein de la boîte. L’occasion pour moi de me faire challenger par un jury (très très) pointu. Les retours sont toujours précis et méticuleux. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai été à bonne école ! 

 

Pari gagnant

Alors, que vaut cette décision avec le recul ? Eh bien, ce fut un excellent choix ! Mon quotidien me plait, mon rôle aussi même si je sens que cela peut complètement varier d’une orga à l’autre. Pour la faire courte, je dirais que le quotidien et les outils sont assez différents de celui d’un PM. Quant à l’activité, elle reste la même : on construit un produit utile et vendable.

On y retrouve beaucoup de réflexes communs : 

  • La fiabilité : être clair dans ses capacités de production et tenir des délais serrés.
  • L’esprit de synthèse : que ce soit pour traiter les résultats de test, les ateliers d’idéation ou les réunions de synchronisation.
  • La gestion des parties prenantes pour en tirer le meilleur, en toutes circonstances.
  • La  capacité à s’organiser : bien rythmer les phases de discovery avec les différents acteurs pour que la “maturation” des initiatives s'exécute correctement. 
  • Le sens du détail, dans les user stories comme dans les maquettes et les protocoles de recherche.
  • La facilitation : pour mener des sessions de refinements, des sprints plannings ou des ateliers design thinking, il faut être capable d’animer un collectif.  
  • La dynamique de dérisquer les sujets et d’itérer reste la même.

La nouveauté pour moi est de m’exposer sur des livrables qui font l’objet de critiques. Il faut s’accrocher : les retours sont parfois tranchants ! Il faut savoir enterrer son ego profondément sous terre…

Je suis évidemment plus proche des utilisateurs, de leur contexte, de leurs besoins et de leurs frictions. Pour autant, je ne suis pas si éloigné que ça des enjeux business. En tout cas dans des environnements B2B. Pour moi, cet équilibre est parfait.

Côté agenda, j’ai davantage de temps de réflexion et de production et moins de réunions de synchronisation. Je suis moins sollicité qu’un Product Manager, et c’est normal ! Je ne suis plus le chef d'orchestre : je suis son binôme, alimentant les discussions, les choix, les priorisations des initiatives. Fournissant des insights utilisateurs sur les sujets qui nous intéressent pour éclairer les décisions, en plus d’assurer la partie delivery qui va soutenir le travail des développeurs.

La nouveauté pour moi est de m’exposer sur des livrables qui font l’objet de critiques. Il faut s’accrocher : les retours sont parfois tranchants ! Cela demande de savoir enterrer son ego profondément sous terre... Au début, j'ai eu quelques coups de chaud. Maintenant, j’écoute, je formalise et j’itère pour prendre en compte les retours argumentés.

Il y a un dernier point sur lequel la différence est significative : l’impact et la valeur d’un Product Manager sur le produit est comprise. Celle d’un Product Designer, pas toujours. Au sein des organisations Produit et des équipes satellites (CSM, Sales etc…), le Product Designer est parfois perçu comme une machine à produire des maquettes haute définition à partir d’une demande. Il faut évangéliser l’organisation sur le scope standard de ce métier et l’impact qu’il peut avoir sur le produit. Cela prend du temps ! Cela peut aussi être très énergivore, et demande d’élever son niveau pour expliciter la valeur que nos pratiques peuvent apporter. Mais au fond, travailler dans de tels environnements est très formateur. 

De par mon passé de PM, je suis arrivé au monde de la conception avec tout le bagage Produit nécessaire pour avoir une vision complète du cycle. Je comprends comment travailler les initiatives Produit, comment les prioriser, comment travailler avec les devs… Et surtout, je comprends la vie d’un PM. 

Aujourd’hui, je perfectionne mes gammes chez Carrefour, dans leur équipe data Product, et je suis plutôt satisfait ! C’est un rôle de Product Designer full stack. J’y suis accompagné par la formidable Diane Truffaux, experte en diplomatie mais pas que. Elle s’est révélée une excellente partenaire d'évangélisation de nos pratiques dans cette organisation qui travaille avec des Product Designers depuis peu. Le chemin est encore long, mais la machine est lancée.

Pour celles et ceux qui y pensaient déjà (ou ceux qui y pensent désormais), je dirais que le changement demande un effort non négligeable. Mais qu’il est à la portée de toutes et tous, puisqu’on reste sur des métiers assez proches. 

Mes 5 astuces avant de vous laisser : 

  • Allez discuter avec des Designers avant de vous lancer, si possible dans des organisations différentes, pour comprendre leur quotidien dans le détail. Cela vous permettra de vous rendre compte si c’est fait pour vous. 
  • Ayez une vue claire et détaillée des compétences du profil visé : pour savoir où vous mettez les pieds, mais également pour identifier clairement les manques éventuels. 
  • Priorisez les compétences les plus complexes à acquérir. 
  • N’ayez pas peur du syndrome de l’imposteur ! Beaucoup de réflexes sont les mêmes, ça reste du Produit. 
  • Entourez-vous de Product Designer qui pourront partager leur XP à chaque interrogation. 

Pour celles et ceux qui veulent franchir le pas, je me ferai un plaisir de prolonger le partage plus en détail. Allez, je file à mes maquettes !

Pour en savoir plus sur nos métiers : téléchargez notre livre Les Clés du Product Management.

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