“C’est le Far West !”: la ruée vers l’IA des e-commerçants

  • mise à jour : 13 novembre 2024
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Depuis son avènement, l’intelligence artificielle révolutionne de nombreux secteurs et l’e-commerce ne fait pas exception. Bien au contraire, les commerçants en ligne voient en l’IA une occasion en or de se démarquer de la concurrence tout en optimisant leurs opérations. Entre opportunités à saisir et défis à relever, découvrez comment Sephora, Salomon ou encore La Centrale capitalisent sur l’IA pour entrer dans une nouvelle ère. 

“L'IA va transformer toutes les expériences client que nous connaissons.” Andy Jassy, CEO d’Amazon, sait de quoi il parle. À la tête de la plus grande marketplace au monde, il met en lumière à chaque interview le pouvoir de transformation de l'intelligence artificielle dans son secteur. 

Un sentiment partagé par de nombreux autres acteurs de l’e-commerce, qui se lancent dans une course effrénée à l’intelligence artificielle. Ont-ils raison de croire que cette dernière peut révolutionner leur secteur ? “Absolument !”, confirme Abdessamad Benhalima, Directeur de la Tribe Data & IA de Thiga, pour qui le champ des possibles reste immense : “Le niveau de maturité globale reste moyen. Il y a encore plein d’opportunités pour de nombreuses entreprises qui ont déployé un ou deux cas d’usage, mais qui ont encore une marge de manœuvre assez forte.”

L’IA pour doper ses opérations

Or, contrairement à ce que l’on pourrait penser, certains de ces cas d’usage n’impliquent pas de devoir réinventer la roue. Au contraire, l’IA peut servir de levier pour optimiser certaines tâches très concrètes et inhérentes au commerce en ligne. La gestion des stocks, par exemple. L’IA prédictive permet de prévoir les ruptures pour être réapprovisionné au bon moment. Ou, à l’inverse, de faire de la prédiction de vente pour ne pas surcharger ses points de stockage.Avec un historique de données en quantité et en qualité suffisantes, on peut s’en servir pour anticiper n’importe quel sujet, explique Abdessamad Benhalima. Même la livraison des produits peut être optimisée grâce à l’IA, grâce à une modélisation des trajets permettant de faire le moins de route possible. En fait, il y a des choses à faire sur l’ensemble de la chaîne logistique !

Au-delà des questions d’approvisionnement, l’IA peut se révéler un atout précieux sur le terrain. Car derrière les plateformes numériques d’e-commerce se cachent des petites mains chargées de leur bon fonctionnement. Et si l’IA venait les soutenir dans leurs tâches quotidiennes ? Un usage qui se révèle notamment intéressant dans le cas du service client, qui constitue un double enjeu : c’est à la fois un élément à part entière de l’expérience client, et un poste de dépense potentiellement important pour les e-commerçants. Pourtant, le Principal IA et Data de Thiga considère qu’il s’agit de l’un des cas d’usage les plus évidents de l’IA générative : “Quand on parle de service client, il s’agit souvent de questions dont les réponses s’inscrivent dans un arbre de décision consulté par les employés. Il est tout à fait possible d’intégrer de la GenAI dans son outil pour accélérer la génération de ces réponses par exemple, voire automatiser entièrement le processus. C’est évidemment à adapter selon le contexte de chacun et sa manière de s’adresser à ses clients, pondère-t-il. Mais on peut facilement gagner du temps tout en délestant ses équipes d’une tâche rébarbative.” Et gagner du temps, c’est aussi gagner de l’argent. 

Un moteur pour booster sa conversion

Ces cas de figure ont beau constituer des vrais leviers économiques pour les e-commerçants, ils ne touchent pas réellement le cœur de leur métier : vendre des produits à des clients via le digital. Et s’il est simple pour ces derniers de flâner dans les rayons d’un magasin en y cherchant leur bonheur, naviguer sur une plateforme réunissant parfois des milliers de produits peut vite donner l’impression d’un rendez-vous en terre inconnue. Là encore, recourir à l’intelligence artificielle permet de transformer une excursion en pleine jungle en une promenade de santé. “L’IA a un vrai rôle à jouer concernant l’identification des besoins du consommateur afin de lui proposer le produit qui y répond le mieux.”

Aujourd’hui, on fait complètement confiance à l’IA pour choisir les produits qui vont être remontés à l’utilisateur.

Une analyse partagée par Yoann Coeurdray. En tant que E-Commerce Product Director de Sephora, il supervise les équipes Produit dédiées à l’application et au couloir d’achat du site web de la chaîne de cosmétique. Ce qui lui a donné l’occasion de travailler avec l'intelligence artificielle pour améliorer la recommandation des produits. “Une cliente sur deux qui vient sur notre site ou notre app le fait sans idée précise de ce qu’elle va acheter. La force de Sephora, c’est que nous disposons du plus large catalogue de produits et d'exclusivités sur le marché de la beauté. Mais comment faire pour que les clientes s’y retrouvent ? Grâce à l’IA, on va pouvoir obtenir une segmentation pertinente et de l’ultra personnalisation encore plus rapidement…” 

C’est la stratégie retenue par Salomon pour son site Internet. L’enseigne spécialisée dans les articles de sport avait besoin d’un nouvel outil pour faire de la personnalisation et de l’AB testing. Le choix des équipes Produit s’est arrêté sur une solution appelée Dynamic Yield, qui utilise des algorithmes de recommandations personnalisées basés sur de l’IA. Hélène Slamich, Product Manager Thiga en mission chez Salomon, raconte : “Au départ, on avait des carrousels de recommandations gérés par les outils du site, qui étaient très simples et demandaient d’être faits manuellement : afficher les meilleures ventes, les produits vus récemment… Le nouvel outil permet de consulter l’historique de navigation des utilisateurs ou des données client de notre base pour faire de la prédiction d’achat dont on se sert pour de la recommandation. Dans un second temps, Dynamic Yield utilise ce qu’on a appris de ces prédictions pour faire évoluer les algorithmes et les améliorer.” Résultat : une amélioration claire de la conversion. “En plus de nous faire gagner du temps, ces carrousels fonctionnent beaucoup mieux car ils sont adaptés aux besoins des clients, ce qui ne serait pas forcément le cas d’un carrousel ‘meilleures ventes’ par exemple, poursuit-elle. Aujourd’hui, on fait complètement confiance à l’IA pour choisir les produits qui vont être remontés à l’utilisateur.

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Il est possible d’aller encore plus loin dans l’implémentation de l’IA sur sa plateforme d’e-commerce, à l’image de ce qu’a fait La Centrale, site de référence pour l’achat et la vente de véhicules d’occasion. La grande nouveauté ? Un chatbot conversationnel fonctionnant grâce à l’IA et avec lequel les clients peuvent discuter pour établir quel modèle leur correspond le mieux.Il est difficile de s’y retrouver parmi des milliers de modèles et de choisir le bon véhicule, à plus forte raison avec l’émergence de l’électrique. Les gens se demandent si c’est fait pour eux en fonction de leur lieu de vie, de leur usage, de s'ils ont des enfants ou pas, soutient Thomas Berger, Chief Technical Officer (CTO) de La Centrale. C’est exactement le type de questions auxquelles les filtres classiques ne peuvent pas répondre, et qui nécessitent des recherches en amont. Notre expertise et nos données nous permettant d’y répondre, c’est ce qu’on a cherché à faire avec cet assistant IA.” Une plus-value pour les clients, mais aussi pour les e-commerces ! “C’est intéressant pour nous du point de vue des données. Plutôt que d’en avoir sur les filtres utilisés, on a accès à des données textuelles sur ce que nos clients cherchent vraiment, ce qui nous permet de mieux les comprendre.” Une mine d’or d’un point de vue Produit !

IA et e-commerce, un mariage sous conditions

Les bénéfices de l’IA ont beau être indiscutables, y recourir comporte un certain nombre d’exigences. À commencer par la donnée, qui est à la base de tout projet d’intelligence artificielle. Pour Yoann Coeurdray, E-Commerce Product Director de Sephora, “l’IA accélère aussi une prise de conscience sur l’importance de la data et des équipes consacrées qui utilisent l’IA au quotidien, et qui sont plus matures sur cet aspect, au sein des équipes Produit. Ce qui nous amène à des réflexions sur comment les rapprocher des équipes qui vont délivrer des frontaux à nos clientes et nos clients.

La question cruciale ne concerne pas les solutions IA en elles-mêmes, mais plutôt la manière dont on les met dans les mains de nos utilisateurs

De manière générale, s’organiser en conséquence est une nécessité. Au risque de réaliser qu’on a ouvert la boîte de Pandore. Pour Yoann Coeurdray, “la maîtrise de l’écosystème IA est in-dis-pen-sable ! On a des exemples de boîtes qui ont trop laissé vivre leurs algorithmes et qui ont perdu la main sur ce qui était présenté au client. Il faut donc avoir une utilisation responsable de ses solutions d’IA. Ce qui implique d’avoir soit le bouton qui permette de les couper, soit des règles de gestion suffisamment formalisées, triées, filtrées et intelligibles pour pouvoir les moduler de manière efficace en cas de problème. Je pense que cette dimension peut être grandement sous-estimée sur le marché aujourd’hui. L’IA c’est un peu le Far-West, tout le monde veut sauter dessus pour ne pas se faire dépasser et ces sujets ne sont pas toujours anticipés. Or, s’il y en a un à penser dès le démarrage, c’est bien celui-là”, prêche-t-il. 

Solution sur-mesure ou clé en main ?

Reste la question quasi shakespearienne du sourcing : to buy or not to buy ? Pour Hélène Slamich, en mission chez Salomon, la décision est simple. “Quand tu veux faire de l’AB testing et de la personnalisation en e-commerce, tu ne fais pas ça toi-même. C’est une machine de guerre. À moins d’avoir la force de frappe d’un Facebook ou d’un Google, tu ne perds pas de temps sur ce genre de choses.” Yoann Coeurdray, lui, est plus mesuré. D’ailleurs, Sephora utilise à la fois des solutions sur étagère et des algorithmes maison développés et entraînés par les équipes Data de la marque.

Make or buy ? Je vais donner la pire réponse qu’on puisse donner en interview : ça dépend !, s’excuse-t-il en souriant, avant de reprendre. Certaines de nos équipes sont très matures sur la recommandation de produits et l’utilisation d’algorithmes maison. Là, on pourrait envisager de débrancher l’outil clé en main utilisé actuellement sur certains points du parcours. Pour autant, il y a d’autres parcours où l'on n’a pas ce même niveau de maturité. Sur le search, nous travaillons avec un outil third party, qui est très en avance sur ce qu’on pourrait développer en interne. C’est normal, ce n’est pas le cœur de métier de Sephora que de faire du search aussi pointu qu’un Google ou qu’un LLM sur un catalogue de plus de dix mille produits, souligne Yoann Coeurdray. Dans ce genre de cas, les solutions "sur étagère" fonctionnent très bien. Et par ailleurs, tout dépend du ROI de la solution. Si on a une solution tierce très performante mais qui coûte extrêmement cher par rapport à la valeur qu’elle apporte, c’est un peu comme utiliser une Rolls pour faire du 50 km/h.

À l’avenir, la chaîne ne s’interdit rien. Elle pense notamment à l’IA pour mettre en avant l’un de ses points forts : son expertise en cosmétique. “L’une des raisons pour lesquelles nos clientes viennent chez nous est qu’elles recevront de bons conseils sur les produits qu’il leur faut. Il nous appartient d’incarner et de restituer en ligne cette expertise sur notre site ou notre application”. L’expert en e-commerce en est convaincu, les opportunités sont nombreuses en interne pour alimenter une solution IA et l’entraîner à restituer ce qui fait le sel de l’expérience Sephora

S’il considère que l’IA apporte un certain nombre de réponses aux e-commerçants, Abdessamad Benhalima insiste sur le fait qu’elle apporte aussi son lot d’interrogations. “Avec la GenAI, on pose la question de la dimension conversationnelle dans l’expérience de recherche. Est-ce qu’on va arrêter de taper des mots clés et de choisir des filtres pour discuter avec une interface qui va nous interroger pour nous faire des propositions ? Et plutôt que par du texte, est-ce qu’on ne finira pas par le faire oralement ? Je ne sais pas, mais il s’agirait d’une vraie rupture dans la manière dont on interagit avec une plateforme d’e-commerce.” Un parti pris très fort, qu’aucun acteur n’a encore vraiment tenté.

Le Principal Data et IA de Thiga loue d’ailleurs la mesure dont fait preuve La Centrale : “Ils n’ont pas fermé le reste de leurs outils de recherche en lançant leur assistant IA. Il a été mis en place en parallèle dans le cadre d’un test, avec l’idée de le mettre dans la main des utilisateurs pour voir ce que ça donne. Et apprendre. Pour moi, c’est la bonne approche. Finalement, la question cruciale ne concerne pas les solutions IA en elles-mêmes, mais plutôt la manière dont on les met dans les mains de nos utilisateurs, et quelle expérience on crée en le faisant”, conclut-il. 

L’intelligence artificielle a les capacités de servir de phare dans la nuit aux e-commerçants désireux de passer un cap. Mais il leur faut rester prudents : à trop voler près du soleil, on risque de se brûler les ailes.

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