L’intelligence artificielle enflamme l'actualité. Tout le monde en parle ! Mais peu s’interrogent sur ce qu’elle change vraiment. Dans la frénésie technologique, on confond souvent innovation et impact. Le directeur des équipes Data & IA de Thiga, Abdessamad Benhalima, appelle dans cette tribune à prendre le temps pour ne pas oublier l’essentiel : l’intégration, l’usage, l’expérience. Car pour que l’IA tienne ses promesses, il faut penser Produit.
J’avoue que l’actualité récente me hérisse un peu le poil. Dès qu’on parle d’IA, je vois tout le monde s’exciter : “Regardez les performances de ce modèle ! Il a dépassé cet autre modèle sur un test X, Y et Z. Et puis les Chinois ont fait ci alors que les Américains ont fait ça...”. Tous les contenus ne parlent que de la bonne architecture pour faire du RAG ou du bon framework pour construire son agent. C’est la même chose à chaque innovation technologique, finalement. Un nouveau jouet vient de sortir, et on veut s’en servir partout sans prendre le temps de réfléchir à si ça va marcher. Pour moi, cette approche techno-centrée est compréhensible, mais insuffisante.
Sortez de la technolâtrie !
Il est vrai qu’il faut penser technologie. Si on ne la maîtrise pas, il n’est pas possible d’utiliser l’IA correctement. Mais ça ne suffit pas ! Les entreprises se retrouvent à dépenser des fortunes pour créer des plateformes, choisir les bons modèles et les fine-tuner. Mais en oubliant de penser le processus de bout en bout, elles prennent des risques énormes quant à l’initiative au sens large ! Alors oui, je sais que certains me verront comme un rabat-joie. Je sais que ce n’est pas ce qu’on a envie d’entendre quand on parle d’IA. Mais, je vous en prie, arrêtez de ne penser qu’aux modèles et aux agents ! Projetez-vous aussi dans l'expérience dans laquelle ils vont s’inscrire. Posez-vous la question de ce que ça va changer pour les utilisateurs, de comment vous allez le mettre dans leurs mains, et tenez-en compte. C’est ça qui garantira le succès de votre projet d’intelligence artificielle, quelle que soit la technologie que vous choisirez d’utiliser.
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Pour trop de produits d’IA, la majeure partie des ressources a été dépensée pour parfaire l’aspect technique sans penser à l’impact sur les utilisateurs, à comment gagner leur confiance. Les caisses sont vides, et on se rend compte que ça ne marche pas tout de suite. Et si cette technologie n’était finalement pas vraiment ROIste ? Bah oui, forcément, quand on a pensé les choses à moitié, c’est difficile d’y arriver.
C’est quelque chose qu’on oublie trop souvent de faire quand on parle d’IA. Penser à l’humain. Même quand il y aura des agents partout, car viendra un jour où il y aura des agents partout, il faudra voir comment repositionner l’humain là-dedans. Si on automatise des process, il y aura certainement toujours des gens dans la boucle, pour vérifier les résultats fournis par l’intelligence artificielle. Comment vont-ils interagir avec cette dernière ? On met de côté toutes ces questions, parce qu’on se concentre uniquement sur la solution. En n’y pensant pas dès le départ, on va peut-être se retrouver avec une solution qui marche, mais qui sera rejetée ou qui aura des impacts inattendus. Car si ça ne fonctionne pas au niveau humain, l’agent le plus avancé techniquement sera inutilisable et inutilisé. Et donc, par définition, inutile tout court.
En tout, l'excès est un vice
Pour moi, le secret pour faire de l’IA avec succès, c’est d’avoir une pensée systémique. Trouver l’équilibre entre expérimentations technologiques pour élargir le champ des possibles et vraie prise en compte du parcours client et utilisateurs en repositionnant l’intelligence artificielle dans un écosystème global. Attention, j’ai conscience que c’est un vrai challenge ! Et je comprends si vous vous étonnez de me voir moi, leader des équipes IA de Thiga, défendre cette position. Je reconnais que c’est un peu contre-intuitif pour moi de dire ça. Théoriquement, mon but est que tout le monde mette de l’IA partout ! La vérité c’est que ce n’est pas toujours la bonne solution. Ce qui permet vraiment de maximiser la valeur de l’IA, c’est bien de penser les choses de bout en bout : comment cela va transformer les interactions, l’environnement dans lequel on évolue… Ça ne concerne pas seulement les interfaces digitales. C’est plus que de la CX. C'est du service Design.
L’approche Produit, c’est ce qui fait la différence entre une boîte qui utilise l’IA avec succès, et une autre qui veut simplement se faire mousser en mode “regardez-nous, nous aussi on fait de l’IA !”
Alors, comment trouver cet équilibre ? C’est là que j’en reviens à mon discours, un peu barbant je le reconnais, de “il faut revenir aux fondamentaux du Produit”. Il faut penser tout ça comme un produit, qui répond à un besoin et qui s’intègre dans un parcours. Après, on cadre bien les expérimentations pour s’assurer qu’on va dans la bonne direction. Car c’est vraiment cette capacité d’insérer la technologie au bon endroit du parcours qui va déterminer si ça va marcher… Ou pas. ChatGPT par exemple. Certes, c’est un assistant conversationnel, et il y a des milliers d’autres façons d’utiliser l’IA. Mais la manière dont OpenAI a mis son outil entre les mains des utilisateurs avant de l’enrichir avec différentes fonctionnalités est inspirante. Aujourd’hui encore, et même si d’autres boîtes se débrouillent très bien, l’UX de ChatGPT est une référence pour les expériences conversationnelles avec des LLM. Cette approche et cette culture sont d’ailleurs incarnées au plus au niveau par Sam Altman, qui vient du Produit.
Pensez Produit !
J’ai un message pour les décideurs. Que vous vouliez faire de l’IA n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais ne sortez pas des fonctionnalités simplement parce que vous en avez envie ! Sauf si votre vocation est simplement de gagner des prix du style “Le cas d’usage d’intelligence artificielle le plus ambitieux de 2025”. Dans ce cas-là, très bien ! Allez-y ! En revanche, si vous voulez avoir de l’impact, adoptez une approche Produit. C’est ce qui fait la différence entre une boîte qui utilise l’IA avec succès, et une autre qui veut simplement se faire mousser en mode “regardez-nous, nous aussi on fait de l’IA !”.
Je m’adresse maintenant aux équipes techniques. Je sais à quel point les stakeholders peuvent être pressants. Parfois, on n’a pas le choix que de faire ce qu’on nous demande de faire. Par contre, il faut être en capacité de mesurer les choses, d’avoir des éléments prouvant si ça marche ou pas et expliquant pourquoi. De cette manière, vous prendrez le pouvoir sur vos expérimentations. Croyez-moi, c’est mieux que de les subir en les lançant sans trop vous poser la question de l’impact attendu, de mesurer les résultats à l’arrache et de s’en satisfaire parce que votre chef est content que vous ayez sorti quelque chose.
Oui, l’intelligence artificielle va changer le monde tel que nous le connaissons.
Après, j’entends qu’il y a plusieurs approches. On peut très bien se dire “je m’en fiche, je lance. Tant pis si ça ne marche pas, j’aurais quand même appris”. Mais vous risquez de briser la confiance qu’ont les utilisateurs, et de devoir redoubler d’efforts pour les embarquer une fois la solution aboutie. Alors que si vous les prenez par la main dès le départ, en pensant à l’impact de bout en bout, en commençant par quelque chose de plus petit, sur un périmètre bien précis, cela va certes prendre plus de temps… Mais seulement pour en gagner davantage à long-terme !
Aujourd’hui, les gens se projettent dans un futur où tout sera automatisé. Alors oui, l’intelligence artificielle va changer le monde tel que nous le connaissons. Elle va bouleverser l’économie, et transformer nos quotidiens. Je ne suis pas en train de dire l'inverse, et il faut s’y préparer. Oui, c’est un super jouet. Donc je ne dis pas qu’il ne faut pas le regarder avec des yeux d’enfant !
Si on ne prend pas ce jouet pour le tester et le malmener un peu afin de voir ses limites d’un point de vue purement technique, je conviens qu’il est difficile de se projeter dans ce que ça va pouvoir apporter. C’est d’ailleurs ce que l’on fait chez Thiga. Être curieux, tester des choses (y compris celles qui peuvent sembler débiles et sans intérêt) pour ensuite comprendre ce que ça peut apporter dans un cadre plus sérieux. Et c’est ce que j’essaie moi aussi d’incarner. Mais je le répète une dernière fois : ça ne suffit pas ! Pour faire de l’IA, il est vital d’avoir un état d’esprit Produit et Design très fort. C’est comme ça que vous optimiserez la réussite de vos projets. Bref, il faut bien avoir l’émerveillement d’un enfant… Et le pragmatisme d’un adulte.