“Il y a un écart important entre l'image que l’on a de l'écosystème Tech et la réalité…”

  • mise à jour : 26 avril 2023
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Pour la première fois en France, une grande enquête sur la santé mentale des Product people a été lancée en février par moka.care. Guillaume d'Ayguesvives, co-CEO de la startup, révèle et décrypte en exclusivité les résultats. Comment la santé mentale est-elle perçue ? Y a t-il des métiers plus touchés que d’autres et quels challenges pour l’avenir ?

Qu’est-ce que la santé mentale et pourquoi avoir lancé une grande enquête sur celle des Product people ?

Contrairement aux idées reçues, la santé mentale n’est pas un état de mal-être. Si on prend la définition de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), c'est au contraire un état de bien-être qui permet de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive. On trouvait intéressant de se focaliser sur celle des Product people qui font constamment de la recherche sur les autres, notamment à travers la user research. Mais qui fait de la recherche sur eux ? L'autre raison est que c'est un métier relativement récent mais dont on parle beaucoup, avec un écosystème Tech qui prend de plus en plus de place. Le but était de donner un regard transparent sur ce qui se passe à l'intérieur.

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Pourquoi la santé mentale est-elle trop souvent ignorée dans le monde de l’entreprise et du Produit en particulier ? 

Il y a un côté très défensif sur le sujet. Le mot "tabou" n'est pas exagéré quand on sait que 80 % des salariés n'osent pas parler de leur santé mentale, même à un psychologue. Il y a ce réflexe de dire que c'est quelque chose d'important pour les autres, mais pas pour soi.

Quels sont les principaux résultats de cette enquête et quels enseignements personnels en tirez-vous ? 

La première chose qui m'a surpris est qu'il y a eu plus de 1000 réponses ! Cela montre la solidité de l'étude car on est au même niveau que les instituts de sondage par exemple. Le principal enseignement que je retiens est que 56 % des répondants considèrent que les métiers du Produit sont plus sous pression que les autres, qu’il est très difficile pour eux de faire face à la charge mentale intrinsèque à leur métier. L’autre enseignement est qu’il n’y a pas de disparité entre les résultats des hommes et des femmes. C’est intéressant dans le sens où cela permet de briser certains clichés.  

N’est-ce pas surprenant quand on parle d’un écosystème où la soi-disant bienveillance est reine ? 

C’est une très bonne question… Je pense qu'il y a un écart important entre l'image que l’on a de l'écosystème Tech - babyfoot, ping pong, semaine de quatre jours ou vacances illimitées - et la réalité... Il ne faut pas oublier que cet écosystème est souvent soutenu par des fonds qui vont chercher de l'hyper croissance. Tout ça a un certain prix, qui peut se traduire par de la pression au quotidien. Sans oublier que ces boîtes sont souvent “product-driven” : on attend donc que la croissance soit tirée par le Produit. En résumé, on dit aux Product people : “C'est à vous de trouver les clés de l'hyper croissance, à vous de craquer votre marché, à vous de faire que votre Produit soit meilleur que les autres." Vous imaginez la pression ?

À ce propos, l’indice de bien-être de l'Organisation Mondiale de la Santé - le WHO-5 - considère qu’un score inférieur à 50 permet de dépister les personnes à risque de dépression. Or, votre enquête révèle un score de 52 pour les Head of, 51 pour les Lead et même 50 pour les contributeurs individuels… N’est-ce pas alarmant ? 

On se doutait de certains résultats, mais on ne s’attendait pas à ça… Heureusement, on n'est pas en dessous des 50, mais on voit qu'on est en dessous de la moyenne française qui est de 57. Donc oui, on peut parler d’un résultat à prendre très au sérieux. 

Chez les Product Marketing Managers (PMMs), la relation au management est de loin celle qui a le plus d'impact sur leur santé mentale à 78%, contre environ 50% pour les autres métiers. Comment l’expliquer ? 

Mon hypothèse est que beaucoup d'entreprises n'ont pas encore tranché à savoir si le Product Marketing dépendait du Produit ou du marketing. Résultat, le manager de PMMs peut être le Head of Product ou le Head of Marketing ou les deux à la fois. Sans compter le Head of Sales qui peut demander aux PMMs pourquoi on a communiqué sur tel sujet de telle manière. Les PMMs ont donc beaucoup moins de certitudes au quotidien et dans leur environnement en termes de "to do" et de relation au management.

C'est aussi aux managers de faire leur introspection et d'analyser pourquoi on en est arrivé là.

Parmi les activités qui ont le plus d'impact sur la santé mentale, on note une gestion des demandes et des feedbacks à 26%. Quel est votre point de vue en tant que CEO et pourquoi est-ce si pesant ?

On parle d'un métier passion où les gens veulent très bien faire ! Il y a cet amour du Produit, cette envie de faire plaisir aux utilisateurs et donc on va attendre de la reconnaissance à travers les feedbacks. Mais dans les faits, quel que soit le produit et sa maturité, il peut y avoir des feedbacks extrêmement négatifs sur lesquels des Product people vont se focaliser, au point d'oublier les feedbacks positifs de la review d'avant. Les profils Product doivent bien garder en tête qu'ils ne sont pas la somme des feedbacks négatifs qu'ils reçoivent. On tend à ne retenir que le négatif et cela peut rapidement devenir très pesant. C'est aussi aux managers de faire leur introspection et d'analyser pourquoi on en est arrivé là.

Parmi les résultats positifs, les Product people se sentent majoritairement soutenus par leur entreprise lorsqu’ils en ont besoin…

C’est une bonne nouvelle ! C'est aussi  la preuve que l'entreprise a déjà commencé à prendre conscience du sujet et que les équipes y sont sensibles. En revanche, ça n’empêche pas d’avoir un WHO-5 au-dessus de 52. L'entreprise a fait un premier pas, il y a un soutien reconnu mais ça ne suffit pas.

Dans les résultats positifs, on note aussi que plus les Product people montent dans la hiérarchie, meilleur est leur niveau de bien-être…

Mon analyse est que la maturité aide à prendre plus de recul par rapport au métier. Plus on monte dans la hiérarchie, plus on apprend à se détacher émotionnellement des feedbacks négatifs par exemple, à accepter que la roadmap peut changer et que c’est une composante du métier. Avec l’expérience on se rend compte, jusqu’à un certain degré, qu’accepter une part d’incertitude permet de mieux gérer sa charge mentale ou émotionnelle. 

Pour conclure, considérez-vous cette enquête comme un succès ou un réel motif d’inquiétude ?

Au niveau de la participation oui, c’est un succès ! Après, je n'ai pas envie de parler “d'inquiétude”. Ces résultats montrent qu'il ne faut pas se voiler la face et être attentif à ce sujet, mais il ne faut pas non plus dramatiser. Si j'avais un message à faire passer ce serait : “On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Passons à l'action maintenant !"

Propos recueillis par Julien Négui. 

Retrouvez l’intégralité de l’étude de moka.care “Product et santé mentale” : https://www.moka.care/product-sante-mentale 

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