Face à l'émergence des plateformes 100% numériques et aux nouvelles pratiques des consommateurs, le secteur de l’hôtellerie traditionnel doit se réinventer. Le numérique, d'abord perçu comme une menace, s'avère aujourd’hui un levier crucial pour transformer l'expérience client et permettre aux hôteliers de se recentrer sur leur valeur ajoutée : l'humain. Comment le secteur tire-t-il parti du digital pour se différencier et quelles sont les expériences inédites créées pour contrer la concurrence des pure-players ?
Outils inédits, nouvelles pratiques des clients… Il y a dix ans, le numérique bouleversait le secteur hôtelier. “L’arrivée d'acteurs comme Booking ou Airbnb a été une vraie révolution. Les acteurs historiques du secteur ont dû se réinventer pour ne pas devenir des seconds couteaux”, se rappelle Thomas Vidal, Partner et consultant Thiga en mission chez Accor en tant que Head of Design depuis mai 2023. Depuis, l’hôtellerie traditionnelle a su rebondir, et fait désormais du digital le fer de lance de sa stratégie.
Un nouveau champ de bataille commercial
L’arrivée de ces pure-players concurrents a forcé les hôteliers à se mettre à niveau. À l’image de Accor qui n’a jamais cessé d'accélérer sa digitalisation. C’est encore plus vrai depuis 2022.
“Airbnb a posé des standards, en permettant de réserver facilement et très rapidement son logement. Logiquement, les clients exigent la même qualité de service dans les hôtels, estime Thomas Vidal avant de conclure : si on ne peut pas leur proposer, on risque de les perdre.” Au-delà de la perte directe de revenus, certains acteurs de l'hospitalité redoutent aussi de devoir dépendre des plateformes de réservation. Une crainte que Clément Schrepfer connaît bien. Expert Produit, il a été en mission au Ritz Paris avant de rejoindre Thiga. À l’époque, l’hôtel emblématique cherche à refondre son parcours de réservation et l’équipe Produit fait le choix d’interviewer des utilisateurs ayant pour habitude de réserver des séjours de luxe via Booking.com. “L’offre est très importante et la valeur ajoutée est de pouvoir comparer avec différents hôtels… Ça met une pression aux établissements, car si tu n’es pas présent sur ces moteurs de réservation ou que ton offre n’est pas bien présentée, les clients ne viendront pas”, confie l'expert.
Sans oublier une question de standards à respecter. “Quand on est un hôtel, à plus forte raison de luxe, une mauvaise expérience utilisateur est impensable, poursuit Clément Schrepfer. On veut contrôler son image et l’expérience que l’on propose, sachant que les plateformes de réservation n’ont pas forcément accès à tous les services d’un même établissement. L’idée est donc de garder la main au maximum.” Ce qui passe par un développement de sa propre offre numérique.
Les pure-players ont beau avoir changé la donne, ils ne sont pas les seuls rivaux à prendre en compte. L'hôtellerie était d’ailleurs un secteur très compétitif avant même leur arrivée. Le numérique n’a pas fait disparaître la concurrence entre les différents hôtels… Au contraire, il a élargi le champ de bataille ! “Si on tape ‘hôtels de luxe à Paris’ sur Internet, il y a beaucoup de noms qui sortent. L’expérience immersive d’un établissement haut-de-gamme doit donc commencer dès la page d’accueil du site, explique Clément Schrepfer, fort de son expérience au Ritz Paris. Ça permet de capter une clientèle de plus en plus importante. Les clients dits ‘historiques’ réservent davantage via des assistants personnels, tandis que les clients qui veulent s’offrir une expérience de luxe, pour une occasion très spéciale par exemple, représentent une grande audience à convertir et le plus souvent grâce au canal digital. L’expérience en ligne doit donc proposer quelque chose de différenciant par rapport à la concurrence.”
D’abord un défi à surmonter, le numérique s’est vite avéré une opportunité à saisir et un allié précieux pour les hôtels afin d’améliorer leurs services. “Quand le digital est arrivé, il a d’abord été vécu comme un frein pour les professionnels, voire même une corvée, se rappelle Thomas Vidal. Il y avait une montée en compétences à faire. Aujourd’hui on s’en sert pour permettre aux hôteliers de se reconcentrer sur leur cœur de métier, là où ils ont le plus de valeur : l’humain.”
Le numérique au service des hôteliers
L'avènement du numérique a bousculé les habitudes des professionnels avec un certain nombre de tâches supplémentaires sur les bras. Résultat : ces derniers se sont retrouvés bloqués devant leurs écrans et loin de leurs clients. Un comble pour un secteur dont la plus-value est l’accompagnement humain qu’il propose à ses clients. “L’éventail des outils digitaux disponibles pour un directeur d’hôtel ou ses équipes a considérablement augmenté ces dernières années, pouvant impacter leur temps passé devant un ordinateur, alors qu’ils devraient le consacrer au plus proche des clients, affirme le Head of Design de Accor. Le rapport humain reste primordial dans le secteur de l’hospitalité."
Le digital est un moyen de nous recentrer sur notre cœur de métier, qui est d'accueillir les gens.
C’est tout le but du département Business, Digital & Tech chez Accor, où 5000 experts du digital collaborent pour fournir des produits performants aux hôteliers affiliés au groupe. “Nous cherchons à simplifier la vie quotidienne des hôteliers en les délestant des actions digitales à faible valeur ajoutée. Pour cela, nous proposons des solutions performantes, comme des solutions IA qui permettent d’automatiser certaines tâches, explique Myriam El Harraq, Senior Vice President Brands, User Experience and Innovation de Accor. Dans le cas des fiches hôtels, le travail de nos Data Scientists permet d’optimiser le choix des photos. Ce que nous voulons, c’est que l’hôtelier ne soit plus derrière son bureau et se concentre sur la relation d’humain à humain. Le digital est un moyen de nous recentrer sur notre cœur de métier, qui est d'accueillir les gens.” Bref, de quoi bonifier l’expérience proposée aux clients.
Car tout l’enjeu est là : utiliser le numérique pour s’assurer d’offrir des séjours les plus agréables possible, comme l’explique Myriam El Harraq. “Les OTA [Online Travel Agencies, agences de voyages en ligne] sont des inventaires. Ils ne rencontrent jamais leurs clients. Ce que nous proposons, contrairement à eux, c’est une expérience physique. Ce contact direct nous permet de proposer une expérience digitale qui se prolonge au sein de l’hôtel, explique-t-elle. Par exemple, nous facilitons l’étape de check-in en fournissant toutes les informations disponibles grâce au digital à l’hôtelier. Quand le client arrive, on ne lui redemande pas tout un tas d’informations qu’il a déjà saisies ou ses papiers comme dans un commissariat. Il est directement plongé dans l'expérience de l’hôtel.” Thomas Vidal abonde dans ce sens : "L’idée n’est plus de se mettre au niveau de la concurrence mais de faire du numérique un vrai levier tout au long du parcours client, sans se limiter à ce qui se passe dans l’hôtel mais en ayant la volonté de créer une expérience globale.”
L’avènement des expériences à 360 degrés
Créer des expériences utilisateurs globales grâce au digital est l’un des derniers défis que le secteur hôtelier cherche à relever. C’est d’ailleurs cette idée d’un parcours client transverse qui était au cœur de la refonte du service de réservation en ligne de Ritz Paris en 2022, "Jusqu’alors, il y avait plusieurs sites pour réserver les différents services : hôtel, restaurant, spa…, se souvient Clément Schrepfer. Certains de ses services ne pouvaient pas être bookés en ligne si bien que l’expérience de réservation d’un séjour complet n’était possible que par téléphone.. On a donc repensé le parcours de réservation pour y inclure un “cross-sell” intelligent en fonction des dates de disponibilité des différents services, poursuit l'expert Produit. Un parti pris créatif et immersif pour la page d’accueil a permis de présenter tous les services en fonction du fuseau horaire de Paris. Aujourd’hui, les clients peuvent organiser leurs journées complètes entre l’arrivée, le passage au spa, le goûter, le dîner… Le tout accessible depuis un seul et même parcours.”
Ce type d’expériences cohérentes, qualifiées d’expériences à 360 degrés par Thomas Vidal, est au cœur de la stratégie commerciale de Accor. Il les définit ainsi : “Dans une expérience à 360 degrés, on accompagne les clients et on répond à leurs attentes du début à la fin. Derrière, cela représente des dizaines et des dizaines de produits numériques et d’intéractions physiques. Tout cela doit être lié et concorder parfaitement. Dans le cas de Accor il faut le faire à l’échelle, pour plusieurs marques et des centaines de produits différents… Ce qui est très complexe, insiste-t-il, avant de poursuivre. Il y a 10 ans, le défi était de faire de bons produits numériques. Maintenant, l’enjeu est de faire en sorte que tous les produits qu’on a fonctionnent ensemble et de manière cohérente. C’est un moyen de croissance énorme.”
Avec plus de 40 marques différentes dans son giron, Accor a la lourde tâche de fournir des produits qui fonctionnent pour chacune d’entre elles tout en leur offrant une latitude pour cultiver leurs spécificités. L’expert en Design considère qu’il s’agit de l’enjeu principal de demain : “Les clients, dans le mass market comme dans le luxe, veulent une expérience personnalisée. On travaille sur notre site pour qu’à terme chaque marque y ait un environnement unique, répondant aux besoins de personae différents. Booking ou Airbnb, qui que tu sois, l’expérience pour un même logement sera similaire. De notre côté, on va proposer quelque chose de plus personnalisé en fonction des attentes de chacun.”
L’innovation doit se penser au sens large du terme. Ce n'est pas juste de la technologie ! C’est un état d’esprit qui commence par réinventer sa manière de travailler.
Pour créer des expériences personnalisées, la donnée est clef… Et Accor n’en manque pas ! “L’avantage que nous avons sur les OTA est que nous disposons d’énormément de data sur nos clients, et pas seulement issue de leur parcours en ligne, résume Myriam El Harraq. Nous avons aussi cette capacité à savoir ce qu’ils ont consommé à l’hôtel, au restaurant, quelles sont leurs préférences de séjour, s’ils sont plutôt spa ou fitness, quel type d’hôtel leur convient le mieux, détaille la Senior Vice President Brands, User experience and Innovation du géant hôtelier. L’ensemble de cette donnée constitue la clé d’une expérience personnalisée, avec des offres et des services adaptés liées à leurs habitudes.”
L’innovation, un enjeu stratégique majeur
L’autre levier de cette expérience utilisateur à 360 degrés ? L’innovation. Les dernières avancées technologiques, notamment la réalité virtuelle, sont des moteurs puissants qui permettent de créer des expériences enrichies, à la fois physiques et numériques. Les équipes Accor y consacrent d’ailleurs 15% de leur temps. Une question de philosophie pour Myriam El Harraq : “L’innovation doit se penser au sens large du terme. Ce n'est pas juste de la technologie ! C’est un état d’esprit qui commence par réinventer sa manière de travailler. Quand on est un acteur hôtelier de plus de 50 ans et qu'on commence à penser le digital comme un pure-player, en y intégrant plus d'Agilité et de Product Management, c'est déjà de l'innovation. Et c'est dans un deuxième temps que cela va nous amener à utiliser différentes nouveautés technologiques.”
Dans cette optique de créer des expériences physiques améliorées par le digital, Accor a noué un partenariat avec Amazon et ses services de cloud. Dans son hôtel Mercure London Hyde Park, le groupe a équipé chacune de ses chambres d’appareils fonctionnant par IA sur Amazon Web Services. Ces derniers permettent de répondre aux questions des clients pendant leur séjour, par exemple l’heure limite pour rendre la chambre ou la localisation de la salle de sport. Il est aussi possible de les utiliser pour régler la température de sa chambre, appeler le concierge, commander un service à l’étage…
La dernière avancée numérique du groupe hôtelier : une application sur l’Apple Vision Pro, conçue en partenariat avec la multinationale américaine. Cette dernière, sortie en juillet 2024, permet à l’utilisateur équipé du casque de réalité virtuelle d’Apple de se retrouver plongé au sein du prestigieux hôtel OWO par Raffles, à Londres. L’expérience se veut totalement immersive, notamment grâce à une minutieuse captation vidéo de l’établissement. Ainsi, l’utilisateur peut découvrir un hôtel de très haut standing comme s’il y était, avant même d’avoir réservé et tout en se trouvant au bout du monde. S’il est conquis, il peut donner ses informations pour réserver. Après quoi, il est rappelé et tous les détails sont gérés par un employé de l’hôtel. “L’objectif de cette application sur le Vision Pro est de proposer une expérience digitale qui procure des émotions, en amont de l’expérience physique.”
En plus de servir à mettre en place des expériences plus complètes, surveiller les dernières avancées technologiques a l’avantage de ne pas être pris au dépourvu dans le futur, souligne Myriam El Harraq. “En étudiant ces nouvelles solutions, en gardant un œil sur l’importance qu’elles peuvent prendre et en s’y préparant, nous gardons deux longueurs d’avance.” Pour autant, l’idée n’est pas de se laisser porter par le courant et de céder à ‘l’effet gadget’ : “Si on décide de suivre les dernières tendances de la tech, le champ des possibles est immense ! Mais n'est pertinent que ce qui va changer concrètement l'expérience vécue par nos clients.”
L’enjeu de demain ? “Se recentrer sur le réel. C’est mon obsession, affirme Myriam El Harraq. Nous sommes entourés de beaucoup de technologies, qui sont là pour nous faciliter la vie mais qui peuvent nous éloigner des connections humaines. Il faut remettre le digital et la technologie au service des individus afin d’améliorer l’expérience physique. Et les utiliser pour créer des émotions et des souvenirs inoubliables.”