Evaluez votre marché : l'étude d'opportunité frugale

  • mise à jour : 12 mai 2015
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De bonnes idées et une vision produit bien cadrée ne suffisent pas à garantir le succès ; nombreux sont les beaux produits ne trouvant pas leur marché. Pour mettre toutes les chances de votre côté, nous vous proposons quelques outils simples pour qualifier l'opportunité et évaluer votre marché cible.

Les parties Problème et Solution de votre vision produit ont été définies et validées qualitativement. Vous avez également une première idée de votre modèle économique, définie dans votre lean canvas : principaux postes de coûts, modèle de revenus, prix de vente envisagé, canaux de distribution ou d’acquisition clients...

La tentation de se lancer directement dans la phase de développement est forte. Néanmoins, avoir un bon produit ou une fonctionnalité très attractive ne garantit pas le succès. A ce stade, votre modèle économique reste fondé sur de simples hypothèses, qu’il conviendrait de tester avant d’investir lourdement dans la création du produit lui-même.

Comment tester les hypothèses prises pour construire votre modèle économique et s’assurer que celui-ci résistera à l’épreuve des faits ?

Les grandes entreprises financent une “étude d’opportunité” complète, qui s’appuie sur une analyse des ressources disponibles en interne, une étude de marché et des projections de revenus pour constituer un dossier d’investissement permettant aux décideurs de prendre une décision de GO / NO GO.

Cependant, réaliser ce type d’étude coûte cher et peut conduire à repousser de plusieurs mois le début des développements ; quant à la réutilisation d’études existantes disponibles sur étagère, elle risque de donner des résultats imprécis voire incohérents, aucune étude ne couvrant à elle seule l’ensemble du périmètre ciblé par le produit.

Que l’on soit Product Manager dans un grand groupe ou dans une startup, il existe des outils et astuces pour valider les grandes hypothèses de son produit (besoin client, solution apportée, modèle économique, marché cible, etc.) de manière simple et agile.

Qualifiez l’opportunité en interne

Avant même de s’intéresser à la taille du marché cible ou au modèle économique de votre produit, il nous semble important de se poser les bonnes questions sur la capacité de votre entreprise à créer le produit et assurer son succès :

  • Êtes-vous réellement capable de réaliser ce produit ? Il s’agit ici d’évaluer les compétences dont vous disposez, les briques technologiques sur lesquelles vous pouvez compter ou encore votre capacité à adresser les canaux clients que vous avez identifiés.
  • Pourquoi êtes-vous le mieux placé pour mener à bien ce projet ? L’idée consiste à identifier vos avantages compétitifs (“Unfair Advantage” dans le framework du lean canvas) : base clients existante, contrat d’exclusivité avec un partenaire, capacité à sécuriser un canal d’acquisition de clients, compétences particulières valorisables, etc. Aucun produit ne peut cumuler l’ensemble de ces atouts, essayez malgré tout d’en acquérir au moins un pour assurer le succès de votre produit (à défaut, être le premier sur le marché reste un bon moyen de sécuriser un tel avantage).
  • Le produit est-il cohérent avec ma stratégie d’entreprise ou de marque ?
  • Est-ce le bon moment pour lancer un tel produit ?

La réalisation d’un SWOT (Strengths Weaknesses Opportunities Threats), framework permettant de lister les atouts et les handicaps auxquels le produit fait face, est un bon exercice pour aider à définir une stratégie qui s’appuie sur vos avantages compétitifs tout en anticipant les risques.

Évaluez la taille du marché cible

En supposant que votre produit réponde à un besoin avéré, il reste à estimer le nombre de clients potentiels partageant ce besoin. En effet, il est possible que votre vision produit restreigne son usage à une catégorie précise de la population. Estimer le marché adressable de notre produit, même de manière imprécise, est précieux ; cela permettra de vérifier que votre modèle économique tient la route et guidera votre approche de l’acquisition client (on n’adresse pas de la même façon un marché de niche et un marché de masse).

Le market sizing est une méthode simple permettant d’évaluer le nombre maximal de clients potentiels pour son produit ou service, voire, en poussant l’exercice plus loin, une estimation du potentiel revenu du produit (selon l’équation : revenu = marché adressable * part de marché * nombre d’achat par client * prix de vente).

Il existe deux principales approches pour un market sizing :

“Top-down” : en partant de la population totale, il suffit de la restreindre en appliquant différents critères socio-démographiques ou d’usage, jusqu’à atteindre le segment de marché cible. Par exemple, pour une application smartphone permettant de partager et télécharger des corrigés de baccalauréat payants, l’entonnoir pourrait se présenter de la façon suivante : “jeunes de 17-18 ans > scolarisés > utilisateurs de smartphone > disposant d’une carte bleue”. Dans cet exemple, nous voyons tout de suite que le marché adressable est probablement très faible. Pour être complet, nous pouvons considérer une seconde population, celle des parents achetant des exercices pour leurs enfants bacheliers.

“Bottom-up” : cette approche est pertinente dans le cas d’un marché déjà adressé par des concurrents bien établis car elle nécessite de connaître ou de pouvoir estimer le nombre d’utilisateurs de ces concurrents. En additionnant leurs bases clients respectives, on aboutit ainsi à une vision du marché adressable.

En multipliant ce marché adressable par un pourcentage représentant le nombre d’utilisateurs que vous estimez pouvoir séduire chaque année (part de marché cible), vous obtenez votre nombre de clients potentiels.

Si celui-ci s’avère faible, ce n’est pas forcément signe qu’il faut abandonner le produit ; il faut simplement s’assurer que votre modèle économique est pertinent pour un tel marché de niche. Il n’y a pas de règles strictes en la matière mais on peut généralement considérer qu’un modèle économique fondé sur les micro-transactions ou basé sur la publicité aurait moins de chances de fonctionner en ciblant un marché restreint.

A l’inverse, se lancer sur un marché large, mature et déjà adressé par de nombreux acteurs n’est pas forcément rédhibitoire ; mais pour avoir une chance de réussir, il faut que votre produit soit différenciant par rapport à la concurrence. On peut citer en exemple Dropbox, lancé en 2008 sur un marché du stockage en ligne en pleine croissance mais déjà saturé d’acteurs ; ce qui ne les a pas empêché de s’imposer comme l’un des leader de ce marché, grâce à un produit fiable et simple d’utilisation.

Le diagnostic stratégique est une autre façon d’évaluer la taille du marché cible. Le diagnostic permet une compréhension commune et claire de la situation actuelle du produit sur le marché, de repérer les tendances de fond et de projeter des scénarios et anticiper les mouvements de la concurrence.

Pour cela nous conseillons deux approches :

La réalisation d’une veille des produits de vos concurrents directs et indirects. Leur positionnement, les fonctionnalités qu’ils proposent et les nouveautés prévues en testant leur produit ou en parcourant leur roadmap si celle-ci est publique.

L’analyse des ressources mises à disposition par les équipes Product Marketing (études de marché, benchmark des concurrents…).

Sachant que le marché et le produit évoluent constamment, il est recommandé de faire un diagnostic produit une a deux fois par an pour de rester à jour.

Testez l’appétence du marché

Pour vérifier si le produit ou la fonctionnalité envisagés correspondent à une réelle demande des clients, certaines entreprises s’appuient sur des systèmes de précommande ou de crowdfunding. L’idée consiste autant à récolter de l’argent en amont pour financer la première version du produit (Minimum Viable Product) qu’à évaluer la demande potentielle. Par exemple, le projet de montre connectée de la startup Pebble a connu un gros succès sur Kickstarter (plus de 10M$ collectés), leur permettant d’une part de valider l’existence d’un besoin marché non adressé et, d’autre part, d’obtenir un volume de précommandes suffisant pour optimiser les coûts de production du premier lot de produits. Plus récemment, en France, la newsletter d’actualité Brief.Me a lancé une campagne de financement participatif sur Ulule en assumant explicitement un double objectif : d’un côté tester l'intérêt pour le produit, recueillir des réactions et, de l’autre, construire une première base d’abonnés.

Une autre possibilité pour tester l’appétence du marché à moindre coût est la technique du smoke test. L’idée consiste à faire “comme si” la fonctionnalité existait déjà et d’évaluer les réactions des utilisateurs, grâce à des métriques définies en amont. Le smoke test peut prendre la forme d’un faux bouton, d’une publicité Google Adwords décrivant de manière synthétique votre proposition de valeur ou d’une fausse page d’accueil pour un produit ou fonctionnalité inexistant. Dans ce cas, on peut également parler de “fake door” : la fonctionnalité n’existe pas vraiment et la demande de l’utilisateur ne peut pas aboutir.

En évaluant le pourcentage des utilisateurs qui cliquent sur le bouton, visitent la landing page ou laissent un feedback, on peut avoir une estimation du succès futur de cette fonctionnalité. Afin que l’expérimentation soit fiable d’un point de vue statistique, il faut bénéficier d’une base utilisateurs suffisamment conséquente ; auquel cas, cette métrique vous permettra d’affiner l’estimation de part de marché utilisée durant la phase de market sizing.

Attention à ne pas rompre la confiance de l’utilisateur ou abîmer l’image de votre produit dans le cadre d’un smoke test : le risque de déception est grand si l’utilisateur clique sur un bouton pour s’apercevoir que la fonctionnalité n’est pas disponible. Mieux vaut être clair avec l'utilisateur en lui expliquant qu’il s’agit d’une fonctionnalité prévue dans un futur proche et l’inviter à donner son avis, plutôt que de feindre une erreur technique.

Certains types de smoke test nécessitent de construire une partie du produit tout en réalisant de manière non automatisée (à la main), la partie la plus complexe de la fonctionnalité. Zappos, un site américain de vente de chaussures en ligne, est souvent cité en exemple pour la façon dont le fondateur a utilisé un smoke test pour convaincre ses premiers investisseurs de la viabilité de son modèle : en réalisant un faux site d’e-commerce comportant une sélection réduite de produits, et en traitant chaque commande lui même en allant acheter les chaussures dans des magasins spécialisés avant de les expédier à ses clients.

Cette approche est plus concrète que la précédente (on évalue l’appétence de l’utilisateur sur la base d’une vraie fonctionnalité tangible plutôt que d’une promesse) mais ne fonctionne qu’avec des volumes très restreints et n’a donc pas une grande valeur d’un point de vue statistique.

Par ailleurs, la technique du smoke test ne doit pas remplacer l’idéation produit ; il s’agit d’un outil de convergence, pas de divergence : tester tout et n’importe quoi se révèle à terme contre-productif.


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