Ils sont souvent relégués au second plan, pourtant leur impact est bien réel. Les produits B2E — à destination des employés — cachent des pièges redoutables pour les PM qui s’y frottent. Fragmentation, manque de reconnaissance, complexité métier… Attention à ne pas tomber dedans ! Forte de son expérience de Product Manager chez Thiga, Julie Crépet livre dans cet article les 7 défis propres aux produits B2E, et ses conseils pour les surmonter.
Les produits B2E, ça vous parle ? Bienvenue dans l’univers du Business to Employee, ces produits à destination de l’interne. Souvent vus comme des “accessoires”, ces produits ont pourtant un impact direct sur l'efficacité du personnel et, par rebond, sur la performance globale de l'entreprise. Dans cet article, nous explorons les défis spécifiques rencontrés par les Product Managers face aux produits B2E, et vous partageons quelques conseils pour naviguer au mieux dans cet écosystème.
Mon produit est le parent pauvre de la boîte
Souvent, la valeur apportée par les outils internes est sous-estimée. Et oui ! Étant à destination des employés en interne, le produit n’est peut-être pas au centre des préoccupations stratégiques de l’entreprise, qui va plutôt se concentrer sur ceux à destination des clients. Si je travaille pour un site e-commerce, l’outil de paramétrage des codes promos ne bénéficie probablement pas de ressources aussi importantes que le site client. Moi qui suis en mission dans un groupe e-commerce justement, j’ai vu mon client lancer un projet de refonte globale très ambitieux, pensé avant tout comme une refonte du site pour les clients. Les besoins d’évolution des outils en interne, en revanche, n’ont pas été pris en compte dès le départ.
Notre conseil : En tant que PM, vous avez une carte à jouer en vous rapprochant du business. Puisque vous connaissez les besoins de vos utilisateurs, sollicitez vos interlocuteurs métier et écrivez la vision de votre produit à quatre mains, en vous raccrochant le plus possible aux OKR de votre entreprise. Cela donnera du poids à vos sujets lors de la priorisation. Prouvez la valeur auprès des décideurs métier en priorité : ce sont eux qui convaincront leurs équipes (et donc : vos utilisateurs) ensuite.
Mon produit fait partie d’un écosystème fragmenté
Négliger les produits B2E, c’est faire l’impasse sur deux choses : une stratégie centralisée et une vision Produit long terme. Résultat, les produits B2E vivent souvent au sein d’un écosystème assez fourni d’autres produits (développés en interne ou d’éditeurs tiers). ”On a tellement d’outils différents que la gestion devient compliquée. L’ownership est éclaté entre les équipes, chacune ayant son propre fonctionnement”, explique Diego Lecoutre, consultant Thiga dans une structure du service public. Cette dispersion complique la coordination et la rationalisation de ces outils, ainsi que la documentation et son maintien dans le temps.
Notre conseil : Ne vous limitez pas à votre périmètre ! Cartographiez de la manière la plus exhaustive possible l’écosystème digital des produits internes, quitte à être le premier à le faire. Pour ce faire, appuyez-vous sur des approches comme le Domain Driven Design ou le Core Domain Chart. Cela vous aidera à décider où investir en priorité.
Découvrez dans cet article pourquoi une bonne équipe Produit n’a pas besoin de Product Manager.
L’environnement de mon produit est complexe à appréhender
Nous le savons tous : il est compliqué de faire simple ! La fluidité de l’expérience du client final repose souvent sur des mécanismes sophistiqués côté entreprise. En tant que nouveau PM sur un produit B2E, le premier enjeu est double : décortiquer les process et règles métier, et s’approprier le langage des opérationnels qui utilisent notre produit au quotidien. En effet, si en B2C et B2B le PM peut plus ou moins facilement se mettre dans la peau de l’utilisateur, cela demande un plus grand effort en B2E. Certains opérationnels exécutent des tâches très techniques, notamment dans l’industrie, ou suivent des process complexes pour mener à bien leur mission.
Notre conseil : De la même manière qu’une image vaut mille mots, rien ne vaut l’expérience terrain ! En arrivant chez mon client, ma première mission consistait à faire un état des lieux sur la gestion des devis. J’ai fait 2h de shadowing, postée à côté d’une opératrice du service client. Tout était beaucoup plus clair après ça !. Autre conseil : n’hésitez pas à rédiger votre propre glossaire dès le jour 1 de votre arrivée, avec le langage spécifique de votre organisation.
Mon produit B2E a de l'impact... Mais personne ne le voit
Encore et toujours le même casse-tête : comment mesurer l’impact de son produit B2E ? Contrairement à celui des produits en B2C, il est souvent diffus, indirect et surtout peu quantifiable. Les entreprises ont tendance à se focaliser sur les KPIs financiers, parfois au détriment de l'efficacité opérationnelle.
Elettra Doglio, consultante PMM Thiga dans un groupe de retail français, se souvient avoir essayé de mesurer l’efficacité de chaque fonctionnalité d’un outil interne. Résultat, “des calculs absurdes d’additions de gains théoriques sans réel impact business.” Pourtant, les métiers perçoivent très bien l’impact de ces outils : réduction des frictions, automatisation des tâches répétitives, amélioration du quotidien… Mais sans chiffres concrets, difficile d’aligner les parties prenantes et d’obtenir des arbitrages favorables.
Notre conseil : Définissez des KPIs adaptés au contexte interne pour identifier des preuves d’efficacité, quitte à ce qu’ils soient d’ordre qualitatifs. Par exemple, vous pouvez établir une priorisation des points de friction en workshop, ou établir une mesure macro du temps/du nombre d’actions pour réaliser une tâche critique. L'objectif n’est pas juste de mesurer, mais de rendre le ROI visible et actionnable. Son suivi doit être partagé entre le produit et les équipes opérationnelles.
Mon produit peine à séduire en interne.
À la différence du client qui peut choisir LE produit qui satisfera ses besoins, l’employé en interne choisit rarement l’outil sur lequel il va travailler. Et attention s’il n’est pas convaincu, prévient Louise Thevenet : “Si elles ont l’impression de subir le choix du nouveau produit, les équipes peuvent s’avérer très créatives pour trouver des solutions de contournement (par exemple à base de fichiers excel dupliqués).” Des solutions alternatives qui peuvent avoir un impact sur la sécurité des données.
Notre conseil : Impliquez les opérationnels en interne le plus tôt possible, dès la phase de conception. Faites-leur tester quelques écrans pour commencer, puis un prototype, même simple !... Puis recueillez leurs avis. Il n’y a pas de meilleur moyen pour en faire des ambassadeurs naturels du changement.
Mon produit évolue sans qu’on sache où il va
Ce qu’on remarque souvent dans le B2E, c’est que certains outils internes existent depuis plusieurs années, mais qu’ils ne sont plus vraiment questionnés. Ils sont là, et c’est tout. Le problème, c’est que ne pas repenser les choix passés peut impacter l’efficacité, la scalabilité et la pertinence de l’outil. Et à force de garder des solutions héritées sans les challenger, on finit par accumuler des couches de complexité inutiles. “On a repris un outil du marché, mais il ne couvrait que 70% du besoin. On a fini par tellement le customiser qu’on s’est retrouvé avec un produit impossible à maintenir”, se souvient Louise Thevenet.
Notre conseil : Demandez-vous pourquoi personne n’a remis en question l’outil : par manque de documentation et d’historique ? Par manque d’ownership sur la gouvernance du produit ? Par peur de rouvrir un chantier trop complexe ? Identifier ces freins est une première étape pour adopter la bonne stratégie et s’assurer que le produit reste un vrai levier de valeur, et non un héritage inutile.
Mon produit peine à convaincre
L'une de nos nombreuses casquettes en tant que PM (et encore plus en B2E) est d'être un fin stratège en soft skills et en argumentation : dans beaucoup d’entreprises, le B2E est perçu comme un coût, rarement comme une priorité. Et c’est là que tout se complique. Le PM se retrouve à devoir faire des acrobaties, lui qui doit convaincre le top management d’investir tout en embarquant les end-users qui subiront le changement. Louise Thevenet l’a d’ailleurs vécu en mission : "Mon projet était impacté par un grand nombre d’initiatives, avec des enjeux variables et des responsables à différents niveaux hiérarchiques. Il était crucial de sur-communiquer pour informer et rester informé des avancées et impacts des différents projets”.
Notre conseil : sur-communiquer mais intelligemment. Avant tout, cartographiez vos parties prenantes et comprenez leurs attentes. Qui a du pouvoir de décision ? Qui peut être un allié ? Une fois ce terrain balisé, trouvez des sponsors internes pour crédibiliser votre message et appuyez-vous sur des success stories. Rien ne parle plus à une entreprise qu’un succès déjà prouvé en interne.
Encore souvent sous-estimés, les produits B2E jouent pourtant un rôle clé dans l’efficacité opérationnelle et la performance globale de l’entreprise. En tant que PM, votre mission est de leur redonner de la visibilité et d’aligner leur évolution avec les enjeux métiers… jusqu’à en faire, peut-être demain, un levier stratégique pour votre entreprise. Cela passe par une meilleure mesure de leur impact, une collaboration étroite avec les métiers et une vision long terme. Car un produit B2E bien conçu ne se contente pas d’optimiser l’interne : il transforme durablement la façon de travailler.
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