C’est en 2013 que je me suis intéressé la première fois aux consumer products, quand j'ai rencontré Antoine Martin et Alexis Bodinot, cofondateurs de Zenly, et que je leur ai fait des retours utilisateur.
En septembre 2015, j'arrive chez Kima, et je propose à Xavier Niel de financer la série A de Zenly, leur nouvelle application qui n’en est qu’à ses balbutiements. On investit alors un peu plus de 3 millions d’euros dans cette boîte qui avait alors environ 10 000 daily active users. Et on assiste à sa croissance, ses réussites et à sa revente à Snapchat en 2017 pour près de 300 millions$.
Alors, comment fait-on, au démarrage d’une très jeune entreprise de 2-3 personnes, pour comprendre et prédire son succès futur ? C’est tout l’enjeu de cet article et de ma conférence à La Product Conf que vous pouvez découvrir ci-dessus.
Parlons prophétie auto-réalisatrice : comment peut-on déterminer plus tard les entreprises sur lesquelles il fallait parier à leurs débuts ? Mais si, souvenez-vous des débuts de Snapchat, Twitch ou bien même Facebook !
La Narrative, première dimension de la valeur Produit
Ce qu’il faut trouver dans ces product consumers, au-delà de la vision Produit, c’est une chose qui révèle la vérité sur ce que les gens veulent. Si vous regardez les boîtes consumer qui ont le plus marché, il y a toujours quelque chose qui a attiré l’attention assez tôt dans la vie de la boîte, soit dans la data, soit dans le comportement, soit dans la croissance générée par l’usage du produit.
Par exemple, à ses débuts, Facebook était un trombinoscope. Cependant,ils ont très vite réalisé que les gens adoraient changer leur photo de profil, qu’ils revenaient régulièrement le mettre à jour et se stalker. Chez Instagram, ils ont fait le tour des bars pour montrer leurs filtres en live et vérifier si les gens avaient de l’appétence pour ce qu’ils faisaient. Pour Snapchat, il s’agit de l'attraction des gens d’envoyer des photos éphémères à leurs proches. Zenly a eu un impact grâce à sa géolocalisation précise dès le début (ils ont d’ailleurs pu expérimenter une perte d’utilisateurs quand cette géolocalisation était plus lente et moins précise). Pour Linkedin, il s’agit de la reconnaissance professionnelle : sa différence, c’est le principe de profil views qui intéresse les pros. Ces caractéristiques peuvent sembler bêtes, simples voire triviales mais elles sont très importantes puisqu’il s’agit de la Narrative de chaque entreprise. Il s’agit du hook psychologique qui est authentique, profond et durable qu’il faut aller chercher chez les gens. Sans cette accroche, les gens perdent l’usage du produit et s’ils le perdent, ils disparaissent.
Reprenons un par un chaque exemple.
La narrative de Facebook est basée sur le stalking (et ils le font bien !). Celle d’Instagram est le beau. Pour Snapchat, il s’agit de la privacy et donc de l’importance de l’éphémère. Chez Zenly, c’est rassurer. Tinder : l’egoboost. L’Oréal : le bien-être. Linkedin : le besoin de reconnaissance. WhatsApp : la proximité, mimer une vraie conversation dans un chat (avec l’accusé de réception par exemple).
Tout s’écrit au sein de ces narratives. On pourrait les comparer à de grandes toiles d’araignées au sein desquelles tout s'inscrit.
La narrative n’a de valeur auprès des consommateurs que si on arrive à créer une relation de confiance avec eux. Ce point est essentiel si l’on ne veut pas tomber dans le même piège que Facebook et les applis qui créent plein de features, ne respectent pas leur narrative et perdent ainsi la confiance de leurs utilisateurs.
Sur Facebook, la confiance venait du réseau. Sur Snapchat, le lien de confiance venait du sentiment de contrôle et de privacy (sur Snapchat : pas besoin de numéro de téléphone). Sur Instagram, votre feed est toujours beau. Sur Zenly, ça marche toujours : promesse d’accuracy.
Tous ces attributs sont essentiels pour ces boîtes parce qu’elles créent le lien de confiance entre elles et les utilisateurs qui donne sa raison d’exister à la narrative. Le jour où on perd le lien, la narrative devient un démon, le hook psychologique vicieux que vous essayez d'activer chez eux.
La primitive, deuxième dimension de la valeur Produit
Une fois qu’on a la narrative, on extrait la primitive : la core feature qui se suffit à elle-même et autour de laquelle et avec laquelle vous allez construire tout votre produit. Dans le cadre de Facebook : le post. Instagram : le filtre. Snapchat : la caméra. Zenly : la map. Tinder : le swipe. L’Oréal : les 3000 experts qui développent de nouveaux produits. Linkedin : votre profil. Whatsapp : le chat.
Ces primitives sont le cœur de la boîte. Souvent le problème des entrepreneurs au début, c’est qu’ils font du contexte ou du product switching. ils lancent plein de features parce qu’ils ont l’impression que ça ne fonctionne pas au lieu de trouver la primitive.
Créer trop de features est le meilleur moyen de détourner vos utilisateurs de votre produit et sa primitive. Votre job est que les gens restent heureux d’utiliser le service pour lequel ils sont venus.
À titre d’exemple, Snapchat a su garder sa primitive contrairement à Facebook et Instagram. Il faut rester obsédé par cette primitive, ne jamais s’arrêter de travailler sur cette primitive. Comment l’améliorer ? On regarde simplement ce qui va la faire grandir.
Ainsi, Facebook a ajouté les réactions autour du post. Instagram : les effets. Snapchat : les filtres et les jeux dans la caméra elle-même. Zenly a travaillé sur une map puissante qui rend l’expérience de localisation incroyable. Pour Tinder, ce serait l’amélioration du matching. Linkedin : la qualification du réseau. L’oréal : les formules. Whatsapp doit pouvoir fonctionner au fin fond d’un festival, etc.
Les enablers, troisième dimension de la valeur Produit
Une fois qu’on a la primitive, qu’on a bien travaillé dessus, qu’on en est obsédé, on peut commencer à travailler sur les enablers. Ce sont toutes les features, qui au sein de la narrative, permettent d’améliorer et de renforcer la primitive.
Facebook a, au début, développé les pages pour créer du contenu autour d’événements et non plus de personnes. Pour Snapchat, c’est le chat qui garde leur primitive car la privacy reste au centre. Zenly a créé les gatherings avec la géolocalisation, pour L’Oréal c’est le digital avec de plus en plus d’apps, pour Linkedin c’est le recrutement et pour Whatsapp, ce sont les groupes.
Ce qui est important à comprendre, c’est que ces enablers doivent être dans la suite logique de la primitive. Elles l’améliorent mais elles restent dans la narrative. À mesure qu’on construit un consumer product, il faut garder en tête que l’expérience doit rester hyper focus, hyper clean et hyper informée pour l’utilisateur. Chez Facebook, l’expérience s’est bien éloignée, alors que Snapchat a une bien meilleure “stickniness”. En une phrase : respectez vos utilisateurs.
La narrative est importante, les gens sont venus pour une primitive pure qui a créé un lien de confiance.
Dernier point et pas des moindres : la data. Elle est plus importante qu’on pense et souvent mal utilisée par les entrepreneurs. Elle va révéler des vérités qu’on ne peut voir nulle part ailleurs. La data parle énormément, via Amplitude par exemple : regardez les cohortes, faites des segments, regardez les usages, la typologie, etc.
Au début, vous commencez avec des convictions, de l’intuition qu’il faut ensuite nourrir avec la user research. L'analyse des comportements utilisateurs mélangé avec la data vous permettra d’avoir la vérité sur votre produit.
Le framework NPE : Narrative Primitive Enablers
En synthèse, vous obtenez ce que j'appelle le framework NPE : Narrative Primitive Enablers.
Narrative : c'est le comportement fondamental, authentique et durable de vos utilisateurs sur lequel vous construisez votre expérience.
Primitive : elle doit être centrale, simple et autosuffisante. La primitive est quelque chose que vous ne cessez de travailler tout en la gardant simplement actionnable.
Enablers : Lorsque vous avez une primitive solide qui permet à vos utilisateurs de s'exprimer dans le cadre de la narrative, vous pouvez développer des enablers pour améliorer, renforcer et amplifier leur expérience.
Pour aller plus loin : Découvre notre livre sur Les Clés du Product Management